Après Cloud Atlas, les frères Wachoswki nous proposent leur nouveau film, Jupiter Ascending, avec sept mois de retard. Quel impact ce délai pourrait avoir sur la sortie de cette nouvelle œuvre SF ?
Les films à gros budget de science-fiction sont des blockbusters, c'est à dire des grands spectacles cinématographiques. L'industrie américaine propose d'avril à août sa traditionnelle saison estivale des blockbusters. Si l'on omet le mois de décembre, c'est l'époque de l'année où sortent en salles ce type de film. Voir débarquer en février Jupiter Ascending (appelé Jupiter le destin de l'univers en France) est donc surprenant, mais il y a une explication à cela quand on se penche sur la production de cette oeuvre.
COÏNCIDENCE UNIVERSELLE
Voici le synopsis officiel du film : «Née sous un ciel étoilé, Jupiter Jones est promise à un destin hors du commun. Devenue adulte, elle a la tête dans les étoiles, mais enchaîne les coups durs et n'a d'autre perspective que de gagner sa vie en nettoyant des toilettes. Ce n'est que lorsque Caine, ancien chasseur militaire génétiquement modifié, débarque sur Terre pour retrouver sa trace que Jupiter commence à entrevoir le destin qui l'attend depuis toujours : grâce à son empreinte génétique, elle doit bénéficier d'un héritage extraordinaire qui pourrait bien bouleverser l'équilibre du cosmos… ».
Du côté des acteurs, on retrouve surtout de jeunes comédiens à la mode entouré de têtes bien connues : Channing Tatum (21 Jump Street) et Mila Kunis (Ted) pour les rôles principaux, Sean Bean (Seigneur des Anneaux, Games of Thrones), Eddie Redmayne (Les Misérables), Douglas Booth (Noé) ou Tuppence Middleton (Trance). Voici le trailer :
L'ETERNEL SHOW DES WACHOWSKI
Au commandes de cette histoire, les frères Wachowski (bon, l'un d'eux est devenu une femme). Ce duo représente à lui seul la capacité d'Hollywood à générer une hystérie invraisemblable autour d'individus par principe dans l'ombre comme des réalisateurs. Il faut dire que ces artistes ont secoué le monde à la fin du 20ème siècle en projetant dans les salles leur œuvre culte, Matrix. Cependant, la suite de leur carrière a pour le moins déchaîné les passions. Matrix 2 et 3 ont divisé les fans tandis que l'échec cuisant de Speed Racer les a fait retomber dans l'oubli. Il faut attendre Cloud Atlas en 2012, soit 13 ans après Matrix, pour que le public salue de nouveau le talent de ces réalisateurs à travers l'adaptation réussie d'un roman assez compliqué (l'échec commercial est pourtant retentissant). Nombreux étaient les fans qui espéraient enfin voir les Wachowski confirmer tout leur talent avec leur prochain projet, mais l'attente fut plus longue que prévue.
QUE FAIT LA WARNER ?
Quelque soit l'industrie concernée (cinéma, comics, jeu vidéo), aux USA, c'est la date de sortie qui compte. Tout le marketing est basé sur un compte à rebours accompagné de trailers/preview. L'important, c'est de vendre l'oeuvre, de la rendre désirable quelque soit sa qualité. C'est le rôle des équipes marketing et cela entraîne un rush effroyable pour les artistes qui travaillent souvent avec des deadlines intenables. Dans les comics, il est rare de voir un artiste tenir le rythme mensuel. Dans le jeu vidéo, un jeu est patché plusieurs fois juste après sa sortie. Au cinéma, c'est pareil, une fois la machine lancée, il faut faire avec et se dépêcher de finir. De nombreux producteurs sont ainsi frustrés devant le produit final, regrettant de ne pas avoir pu finaliser certaines choses ou refaire d'autres. Voir la date de sortie d'un film repoussée est en effet considéré comme un signe négatif. Pourquoi le studio brise son plan marketing ? C'est un risque, mais il n'y a aucune règle en la matière. La Warner a expérimenté cela l'année dernière avec deux films aux destins radicalement opposés. Gravity a été un immense succès commerciale et critique. À l'inverse, 300 : Rise of An Empire n'a pas été à la hauteur de son aîné. L'annonce du report en juin 2014 de Jupiter Ascending de juillet 2014 à février 2015 a donc intrigué les observateurs. La raison principale invoquée : terminer les effets spéciaux mais aussi la campagne marketing.
Dans le premier cas, on peut comprendre l'intérêt d'un tel délai. Cependant, le film a utilisé en majorité des effets spéciaux classiques (explosion, cascades) et de vrai doublures en lieu et place d'avatars numériques. Cela aurait donc dû accélérer cette phase en comparaison d'autres films, non ? Peut-être, mais cela pourrait aussi être lié à des avis négatifs lors des premières projections test. L'exemple du film World War Z, qui a subit de profondes modifications suite à de tels avis pour sauver sa sortie, permet de rester confiant. Toutefois, cela alimente les rumeurs autour de la seconde cause du retard : la campagne de communication autour du film ne fonctionnerait pas. Bon, les films des frères Wachowski sont par nature assez originaux et demandent donc un effort supplémentaire pour les présenter correctement auprès du public (même si une bande annonce efficace peut suffire). Warner Bros aurait donc offert à l'équipe du film un délai pour corriger une trajectoire qui semblait diriger cette oeuvre droit vers le mur des films incompris. Reste à savoir si cela ne va pas obliger les réalisateurs à faire des choix qui trahiront leur vision artistique.
IL EST DIFFICILE DE FAIRE VIRER UN PAQUEBOT
Jupiter Ascending, c'est plus de deux heures de science-fiction influencées par Le Magicien d'Oz et l'Odysée si on croit les propos de Lana Wachowski. Il s'agit d'une histoire originale à une époque où les adaptations de romans, comics (et bientôt jeu vidéo) sont légions. C'est donc un gros pari du studio derrière ce film, Warner Bros (les films Batman, Harry Potter ou le Seigneur des anneaux). Créer une nouvelle franchise n'est pas sans risque, mais c'est vitale pour le studio. La proposer aux Wachowski ne l'est pas moins. Leur offrir l'opportunité de créer leur propre univers est osé car ces artistes ne laissent pas indifférent. Ce film est donc un petit ovni, et il n'est pas illogique de vouloir proposer au public une œuvre aboutie, même si cela passe par un retard.
Cependant, avec un budget de 175 millions $ (sans compter les 100 millions $ de marketing), chaque semaine sans voir le film sortir est une perte sèche pour les comptes du studio. C'est de l'argent bloqué alors que d'autres producteurs auraient tenté leur chance avec le film en l'état, quitte à se faire allumer par la critique. C'est donc une décision logique qu'il faut saluer, sans connaître pour autant les coulisses de cette décision. Le studio avait néanmoins d'autres cartouches pour l'année 2014. Il a ainsi proposé deux blockbusters SF : le remake américaine de Godzilla au printemps, et Edge of Tomorrow pendant l'été. Leurs sorties espacées n'a donc pas été cannibalisée par celle de Jupiter Ascending.
Pour des budgets similaires, le film du monstre japonais a été un énorme succès avec presque 530 millions $ de recettes. En revanche, celui de Tom Cruise a été sauvé par son exploitation en dehors des USA, le film ne rapportant que 100 millions $ sur le marché américain (donc pas rentable, ce qui est la première chose analysée par les producteurs). On aurait parié sur un résultat inverse entre les deux films, ce qui prouve la difficulté de prévoir le succès de Jupiter Ascending.
RECONQUERIR LE PUBLIC
Pour convaincre le public, la communication doit reprendre son rôle après avoir dévoilé de nombreuses cartouches pendant le premier semestre 2014. Elle peut compter sur la popularité de ses vedettes. Ironiquement, Channing Tatum est au top de sa forme en ce moment. Après le succès de 22 Jump Street (chose difficile pour la suite d'une comédie), il est en train de convaincre la presse et les cinéphiles qu'il n'est pas qu'un Appolon grâce à Foxcatcher, un des favoris des Oscars. Mila Kunis n'a pas spécialement brillé depuis Ted en 2012 (le nouveau film sur le Magicien d'Oz avec James Franco n'a pas été un franc succès), mais elle reste une star des magazines people.
Projeter le film en avant-première ces jours-ci à Sundance est un autre choix atypique. Ce festival indépendant américain révèle des films qui existent bien souvent en opposition aux blockbusters des studios. L'aura et le côté sulfureux des réalisateurs a dû convaincre la Warner du bien fondé de l'opération, même si les premiers échos ne sont pas exceptionnels. Ce n'est clairement pas le public visé, et le design général du film est des plus singuliers. Tout comme l'est le projet depuis le début. On lui souhaite donc bonne chance en espérant qu'il trouve son public.
2015 sera quoiqu'il arrive l'année des space-opéra avec la sortie de Star Wars VII en décembre. Jupiter Ascending est un avant-goût pour les fans du genre, mais encore faut-il lui laisser sa chance. Ce film ne laissera sûrement personne indifférent et on peut s'attendre à des avis très tranchés.