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Pourquoi les artistes travaillent avec Image Comics ?

Le marché des comics est outrageusement dominé aux USA par deux entreprises : Marvel et DC Comics. Ces éditeurs, appelés les Big Two, ont longtemps attiré et conservé les plus grands artistes en leur faisant signer des contrats d'exclusivité. Mais ça, c'était avant.

Les lecteurs de comics connaissent l'histoire : en 1992, une bande de sept rebelles claque la porte de la toute puissante Marvel pour aller fonder leur propre studio. C'est la naissance d'Image Comics, une vraie révolution à l'époque. Là où d'autres artistes ont tenté sans succès d'installer leur propre label sur le marché, ces jeunes fous ont réussi à attirer leurs fans pour vendre des millions d'exemplaires de leurs séries phares (Spawn, Youngblood, Wildcats). Malheureusement, le rêve ne dure pas. L'industrie se dirige vers une crise sans précédent qui va pousser Marvel au bord de la faillite au début du nouveau millénaire. DC Comics est sous perfusion de la Warner alors que les ventes dégringolent, passant du million d'exemplaires pour la meilleure vente mensuelle à moins de 100 000 copies en dehors des crossovers et #1. Les artistes stars se réfugient dans des contrats d'exclusivité chez les Big Two pour s'assurer des revenus réguliers et il va falloir attendre 2004-2006 pour que celles-ci redressent chacune leur situation (New Avengers et Infinite Crisis). En face, les éditeurs indés essayent tant bien que mal de survivre.  

ET TOI, T'ES INDEPENDANT ?

Si l'on balaye rapidement la liste actuelle des éditeurs de comics aux USA, outre Marvel et DC Comics, nous observons la présence de trois éditeurs s'appuyant massivement sur des licences populaires liées au cinéma ou la télévision. Dark Horse a survécu grâce au boum des comics Star Wars alors que Lucas lançait sa Prélogie (mon dieu, quelle époque...). Dynamite publie à tort et à travers les nouvelles aventures des héros pulps nés dans les années 30, mais c'est une niche comme une autre. Enfin, IDW se spécialise dans les adaptations de séries TV et de dessins animés.

Où est la créativité dans tout cela ? Pendant les années 2000, uniquement chez Image Comics et Vertigo. Image essaye désespérément de trouver un second souffle dix ans après sa fondation. Ses séries ne font plus le buzz et, par capillarité, se vendent moins bien. Un certain comics nommé The Walking Dead, proposé dès 2003, mettra du temps avant de réellement percer au-delà de la communauté des lecteurs indépendants. On parle là d'un petit cercle qui regroupe des fans qui ont les moyens de lire ces comics en plus des lectures OBLIGATOIRES venant de Marvel et DC (pour tout geek qui se respecte) ou alors qui ont décidé, sacrilège, de boycotter les Big Two car elles ne respectent plus les lecteurs et les personnages d'après eux.

Vous l'avez compris, au début des années 2000, les fans comme les artistes se recroquevillent majoritairement sur Marvel et DC, c'est logique. Ce n'est qu'avec le renouveau progressif du marché, dès Civil War et le succès des films Marvel Studios, que tout le monde va (re)découvrir l'existence des éditeurs indépendants. Toutefois, pour un artiste, il est reste plus facile à l'époque de produire une série pour le label à succès Vertigo appartenant à DC Comics (Fables, 100 Bullets, DMZ, Northlanders, Scalped, The Unwritten, Y The Last Man). L'éditeur s'occupe de la vente et partage les bénéfices avec les artistes, ce qui n'est pas le cas quand il travaille sur un comics Marvel ou DC car ces personnages appartiennent à l'éditeur. C'est le modèle Image Comics qui est repris par les Big Two. Marvel comprend bien cette nécessité en proposant de son côté le label Icon, mais il n'aura jamais l'aura ou les ventes de Vertigo, exception faite des séries de Mark Millar (Kick-Ass).

TOUS AVEC KIRKMAN

Revenons à Walking Dead. Robert Kirkman a fait partie de ces auteurs talentueux qui ont été repérés par Marvel après des premières publications de qualité. Cependant, son passage dans la Maison des Idées sera un échec, à l'exception notable de Marvel Zombies, qui n'est même pas une idée à lui. Ce n'est pas grave, le scénariste n'a pas besoin des Big Two pour vendre ses propres comics. Kirkman sera le symbole du renouveau d'Image Comics. Quand il lance en 2008 son célèbre manifeste appelant tous les artistes à abandonner Marvel et DC pour rejoindre des éditeurs qui les traiteront plus respectueusement, l'auteur est aussi bien moqué que respecté.

Comment quitter des navires qui sont de nouveaux bénéficiaires, capables de recréer une certaine excitation et détenteurs de personnages indémodables ? C'est le rêve de tout artiste que de travailler sur un comics Superman, Spider-Man, Batman ou X-Men. Néanmoins, Kirkman n'est plus ce jeune artiste promis à un brillant avenir. En 2008, il devient le 1er actionnaire à rejoindre Image Comics depuis sa fondation en 1992. Son studio, Skybound, sur le modèle des studios fondateurs d'Image, possède les deux licences originales (ce ne sont pas des adaptations de film ou série TV) les plus juteuses du marché.

Qui peut à l'époque intégrer le top 25 des ventes hormis Buffy ou Star Wars ? Qui peut réunir un lectorat régulier conséquent comme Invincible ? Rares ont été les artistes à prendre au mot Kirkman à l'époque, mais le bonhomme avait raison. Progressivement, Walking Dead a phagocyté le marché américain des albums comics. Mieux, sa série a réussi plusieurs fois à se classer 1ère du top 300. La série télévisée a bien sûr complètement changé la donne, mais le phénomène Walking Dead est antérieur.

Janvier 2008 : Dark Horse est le troisième éditeur du marché à plus de 5% de part de marché, devant Dynamite et Image Comics. Ses séries phares ? Buffy, Star Wars, Umbrella Academy, Conan. Sept ans plus tard, l'éditeur se repose sur le même mélange (remplacez Umbrella par un autre comics original de qualité) mais il est amputé de sa vache à lait Star Wars. Cela fait une énorme différence. Image Comics en janvier 2008 ? Sa meilleure vente, c'est Spawn #174 qui est la 99ème vente du Top 300. Janvier 2009 ? C'est Walking Dead qui est 78ème. L'année d'après, c'est Haunt (par Kirkman, vous vous souvenez de ce buzz?) qui est dans les mêmes eaux. Janvier 2011, ce bon vieux Spawn est 4ème ! Bon, ne nous enflammons pas, il s'agit du numéro collector #200, mais ces ventes sont possibles car Image est redevenu un éditeur médiatique. En 2011, il est solide 3ème avec presque 7% de parts de marché. Inversement, Dark Horse a chuté à moins de 4% et s'est fait dépasser par IDW.

Janvier 2013, Walking Dead #106 est 19ème du Top 300. Ce n'est pas un numéro spécial, et ce n'est plus le seul comics Image à faire des incursions dans le Top 50. Un certain Saga est 38ème le même mois, et Invincible 52ème. Janvier 2014, Walking Dead est en plein événement avec une publication bimensuelle. Les deux comics de ce mois-là sont 11ème et 12ème ! Est-ce uniquement le succès de Walking Dead ? Non ! Saga est 21ème (devant X-Men ou Green Lantern), Deadly Class 51ème, East of West 70ème, Black Science 97ème, Velvet 99ème, Sex Criminals 102ème... Pour information, chez Marvel et DC, une série située en dehors du Top 100 a de grandes chances d'être annulée très rapidement. C'est dire si les éditeurs indépendants sont habitués à se trouver après cette 100ème position.

Le même mois, Dark Horse positionne dans ce top 100 un comics Star Wars et un comics Serinity (une série TV de Joss Whedon). Ceci n'est pas une analyse scientifique mais juste des exemples d'un constat mensuel : Image Comics se rapproche des 10% de parts de marché en volume, encore plus en valeur (elle vend plus d'albums que les Big Two, merci Walking Dead et maintenant Saga). Janvier 2015 ? Allez, une dernière pour la route. Walking Dead 136, un numéro comme les autres (pas de mort, pas de nouveau héros incontournable, etc...) est 10ème du top 300 ! Jupiter Legacy est 68ème, Bitch Planet 77ème, Fade Out 90ème, Sex Criminals 96ème, O-DYC 102ème... Je n'ai pas pris de nouvelles séries, ces chiffres étant biaisés.  

LIBERTÉ CRÉATIVE ET FINANCIÈRE

Au-delà de ces chiffres qui mériteraient une analyse rigoureuse basée sur plus de données, il est évident que la donne a changé aux USA. Observons les artistes publiés par Image Comics le mois prochain. Robert Kirkman, Mark Millar, Rick Remender, Kurt Busiek, Ed Brubaker, Jonathan Hickman, Matt Fraction, Jeff Lemire, Greg Rucka, Brian K Vaughan, Paul Jenkins, Andy Diggle, Kieron Gillen... Sans oublier Steve Epting, Eric Powell, Kelly Sue DeConnick, Sean Gordon Murphy, Dustin Nguyen, Jay Faerber, Justin Jordan, Clayton Crain, Eric Canete, Michael Lark et tant d'autres ! Que des grands noms qui ont tous travaillés pour Marvel et/ou DC Comics ! Mieux, certains comme Hickman, Remender et Gillen travaillent toujours pour Marvel et en sont même les piliers actuellement !

En revanche, des gars comme Fraction, Brubaker ou Rucka l'ont quitté pour différent créatif ou lassitude. Chez Image Comics, vous êtes libre de créer votre propre univers. Ces personnages vous appartiennent, vous pouvez les tuer, mettre en scène un viol ou tout acte immonde, aucun éditeur ne va vous censurer pour protéger l'image commerciale de ce personnage. De plus, le lectorat est clairement adulte. Les sujets abordés sont matures, violents (physiquement et psychologiquement) et les scénarios peuvent être complexes. Seule la qualité est obligatoire ! Marvel peut se permettre de soutenir une série qui se vend mal si cela à un intérêt éditorial. Chez Image Comics, c'est chacun pour soi.

Vertigo et Icon ne peuvent plus lutter, il n'y a qu'à voir leur catalogue, le second ne publiant qu'un comics irrégulièrement alors que le premier a essayé de sauver sa peau suite au départ de sa dirigeante, une éditrice reconnue par toute sa profession. Science-fiction, fantasy, féminisme, magie, polar, tous les sujets sont abordés, aucune limite n'est imposée et le lectorat en redemande. Si un artiste à une idée un peu trop hardcore, d'autres éditeurs comme Avatar Press se feront une joie de l'accueillir (Hickman avec God is Dead et Gillen avec Uber). Alors que Marvel et DC doivent lutter avec des contraintes cinématographiques, Image Comics semble faire office de havre de paix.

Tout n'est pas parfait, et l'éditeur a bien conscience que ce n'est qu'une brèche dans la domination des Big Two (sa stratégie commerciale agressive le prouve, que ce soit auprès des lecteurs ou des vendeurs). De plus, Marvel et DC ont une nouvelle fois acté ces fuites des artistes. Si DC Comics semble avoir abandonné l'idée de recruter des grands noms (au profit de promotions internes autour de la rock-star Scott Snyder), Marvel parvient encore à conserver ses stars, mais ne peut les empêcher de créer leur propre univers, et donc futures licences, en parallèle chez Image. Certaines séries Marvel ont bénéficié de cette créativité (Thor God of Thunder, Young Avengers par Gillen, Moon Knight par Ellis), mais les artistes semblent réduire leur charge de travail pour Marvel afin de concentrer leurs forces pour leurs propres idées (Remender a 3 séries chez Image et 2 chez Marvel). Jusqu'à quand Marvel l'autorisera-t-elle ?

Que les fans de Marvel et DC se rassurent, ces éditeurs restent les leaders du marché et sont toujours capables de proposer des séries de qualité. Néanmoins, il n'est plus inconcevable pour un artiste talentueux qui rencontre le succès d'envisager une carrière majoritairement chez les indépendants pour son propre bénéfice. Si cela nous offre d'autres séries de qualité comme Walking Dead, Saga et compagnie, c'est tant mieux !

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