Alors que la série télévisée Vikings se rapproche de la conclusion de sa troisième saison, penchons-nous sur une autre épopée du même genre : le manga Vinland Saga. Entre violence et quête d'un monde meilleur, un enfant patiente. 

Publié depuis 2005, ce manga est un énorme succès au Japon, aussi bien critique que public. Il a glané plusieurs prix, notamment celui du manga Kodansha en 2012, et s'est vendu à plusieurs millions d'exemplaires. C'est un seinen, c'est à dire un manga visant un public plus mature que les shonen comme Dragon Ball. La violence est omniprésente, qu'elle soit physique ou morale, et le scénario, bien qu'il tourne autour du héros Thorfinn, ne cherche nullement à nous présenter l'épopée initiatrice du sauveur de l'humanité. Non, dans Vinland Saga, tout part de la vengeance d'un enfant au plein milieu de l'ère viking.  

AU NOM DU PERE

Vinland Saga est actuellement en cours de publication au Japon et en France. Il est scénarisé et dessiné par le mangaka Makato Yukimura. Cet auteur s'est déjà fait connaître dès l'an 2000 avec la série Planetes, une histoire complète en quatre tomes. Son sujet ? Un groupe d’astronautes en l'an 2075 est en charge de récupérer des débris qui sont en orbite terrestre. L'histoire, réaliste, a été adaptée en animé et est disponible au format papier chez Panini Manga. Après ce premier essai réussi, Yukimura produit un nouveau seinen dès 2005. Ce sera Vinland Saga. Fortement inspiré dans son enfance par la lecture du célèbre manga Ken le Survivant, l'auteur va publier dans un premier temps son titre dans le Weekly Shonen Magazine. Tout se passe bien d'avril à octobre 2005 avec un rythme hebdomadaire. C'est dès le second tome que l'artiste modifie son rythme de travail pour une publication mensuelle. Le manga change logiquement de magazine et passe dans le mensuel Afternoon, un autre cador du catalogue de la Kodansha. En France, c'est l'éditeur Kurokawa (celui de Fullmetal Alchemist) qui propose dès 2009 la série. Cette localisation rapide (deux ans et demi, c'est rien dans cette industrie) a paradoxalement engendré une certaine frustration chez les fans français. En effet, après une année 2009 faste (5 volumes) et une bonne année 2010 (4 volumes), l'éditeur avait rattrapé son retard sur la publication japonaise. Deux volumes ont ainsi été publiés en 2011, puis c'est le drame : un seul volume par an entre 2012 et 2014. L'attente semble interminable. L'année 2015 pourrait être plus clémente, avec un quatorzième volume enfin disponible et un quinzième envisageable pour cet hiver. Ce manga est une drogue et il nous tarde de connaître la suite, surtout après les choix effectués par le mangaka !

Comme toujours, le résumé officiel est un bon point de départ pour discuter du scénario : Depuis qu'Askeladd, un chef de guerre fourbe et sans honneur, a tué son père lorsqu'il était enfant, Thorfinn le suit partout dans le but de se venger. Mais bien qu'il soit devenu un guerrier redoutable, il ne parvient toujours pas à vaincre son ennemi. Au fil des ans, enchaînant missions périlleuses et combats afin d'obtenir des duels contre l'homme qu'il hait plus que tout, le gentil Thorfinn est devenu froid et solitaire, prisonnier de son passé et incapable d'aller de l'avant. Jusqu'à ce que la vie le force à regarder le Monde différemment ? Vous l'avez compris, une relation malsaine s'est installée entre Thorfinn et Askeladd. Le premier est ivre de vengeance. Il est à peine un ado qu'il hante déjà les champs de bataille. Trop jeune pour vaincre son ennemi, il a réussi à intégrer sa bande pour avoir la chance de le défier encore et encore, défaite après défaite. Le vil Askeladd, redoutable chef d'une bande de pilleurs, a compris l'intérêt d'utiliser cette soif de sang à son avantage. Il a modelé le jeune Thorfinn pour en faire une arme terriblement destructive. L'enfant pleure son père, un légendaire guerrier qui avait choisi la paix après des années de combat et grandi dans l'ombre d'un stratège sans scrupules. Il ne retrouvera les siens qu'une fois sa mission accomplie.

LA VOIX DU GUERRIER MENE AU VINLAND

Nous sommes en l'an de grâce 1013. Les débuts de l'ère vikings racontés dans la série TV du même nom sont bien loin. Ce peuple occupe une partie du Royaume-Uni et assiège à ce moment-là sa Londres. Les rois nordiques convoitent la couronne des anglais et les simples raids ont fait place à des guerres s'éternisant en territoire ennemi. Le manga Vinland Saga parvient parfaitement à alterner entre des séquences martiales et des passages mettant en scène la vie de ce peuple. Orphelin de père, Thorfinn est un enfant soldat. Sa relation morbide avec son tuteur va le faire voyager sur les champs de bataille, faisant de lui une véritable légende. S'il est physiquement parfois désavantagé par rapport à certains géants, il profite de sa vitesse et de son audace pour surprendre ses adversaires. Sublimé par le trait du mangaka, l'histoire nous entraîne dans une frénésie guerrière addictive. Progressivement, des enjeux politiques apparaissent pour solidifier l’intrigue qui ne tourne pas uniquement autour de la vengeance de Thorfinn. L'arrivée du prince danois est ainsi décisive. Les enjeux deviennent graves, les ennemis s'allient pour survivre et on arrive même à se prendre d'affection pour les pires crapules. Le septième tome se conclut en apothéose... et l'histoire change complètement !

Que ce soit au niveau du ton, du décor, des enjeux ou des personnages, tout est bouleversé à partir du 8ème tome. La série évolue, se réinvente même, pour offrir autre chose. Le changement est parfois difficile à accepter au départ car on perd tout l'aspect guerrier et sanglant du manga au profit d'une autre facette de la culture viking : la vie en dehors des raids. En effet, ces terribles conquérants étaient pour la majorité des fermiers. Dans la mythologie nordique, la mort glorieuse permettait d'accéder au paradis (Valhalla), mais se battre n'était pas la principale activité de ces hommes. Guerrier, agriculteur donc et même explorateur, le viking est multiple. Sans dévoiler l'énorme twist du scénario, nous allons découvrir un personnage complètement différent. L'esprit change pour mieux coller au titre du manga. En effet, le Vinland est un territoire légendaire, situé plus à l'Ouest encore que le Royaume-Uni, et serait un paradis sur Terre pour ce peuple. Vous l'aurez compris, on touche ici à la légendaire épopée des vikings en Amérique !!! Il y a bien sûr leur colonisation du Groenland, et nous ne savons pas encore exactement ce que nous réserve l'auteur, mais on peut au moins être sûr que tout était prévu pour préparer ce périlleux voyage.

C'est l'objectif final depuis le début : démontrer l'horreur de la guerre, ce qui excite nos émotions primitives, pour mieux nous entraîner par la suite dans une quête pacifiste. On a du mal à quitter ces combats incessants, mais on découvre, après les tomes 8 à 10, que la nouvelle vie du héros est tout aussi dangereuse. C'est juste que sa flamme intérieure ne brûle plus pour la même chose, et il ne va plus se battre pour les mêmes raisons. Je sais bien que je tourne un peu autour du pot sans vraiment expliquer la chose, mais je ne peux pas vous spoiler ce superbe retournement de situation. Quand on sait que les sept premiers tomes ne sont que le prologue de l'histoire (terme utilisé par le mangaka lui-même), on se doute qu'après une telle maîtrise de l'univers connu des vikings, l'auteur va pouvoir explorer avec talent un territoire inconnu. On a hâte de lire la suite, mais il faut être patient !  

Se procurer un nouveau tome de Vinland Saga relève aussi bien de l'orgasme que du masochisme. C'est l'assurance de lire un pur chef-d’œuvre tout en redoutant une nouvelle attente interminable. Aucun animé n'étant encore prévu malgré le succès retentissant du titre, la lecture des 14 tomes disponible relève de l'obligation.