Depuis des années, certains studios font perdurer l’animation « faite maison » en construisant chaque seconde image par image. Retour sur les studios Aardman et Laika, les deux outsiders de l’animation.
L’animation a toujours eu une place importante dans le cinéma, les premiers dessins animés populaires se regardant sur une toile et non pas à la télévision ou via internet. Aujourd’hui, ces films d’animation sont des incontournables et nourrissent le box-office grâce à des studios devenus des mastodontes d’Hollywood. Pourtant, certains ne suivent pas ce chemin et tentent de proposer une animation toute particulière qu'on appelle stop motion
En effet tout le monde connaît Disney, Pixar ou bien Dreamworks, qui ont réussi à devenir des références dans cet univers-là en ayant des créations ultra populaires, notamment Le Roi Lion, Toy Story et Shrek. Ce sont eux qui ont imposé une régularité de production avec au moins un film par an, en ne délaissant pas les périodes de vacances et leurs fameux dessins animés, et surtout en imposant une technique de fabrication en animation 3D, c'est à dire en image de synthèse. Difficile de percer dans ce secteur ultracompétitif, d'autant plus lorsque l'on cherche à rester en dehors du schéma traditionnel de l'animation actuelle. Si les studios Aardman et Laika ont réussi à proposer des oeuvres riches et intéressantes c'est parce qu'ils ne cherchent pas à renier ce qui a fait l'animation traditionnelle au profit de l'évolution technique. Un choix judicieux qui leur a permis de se rendre compte de toutes les possibilités créatives à leur disposition.
La place du Stop Motion dans les techniques d'animation
Les films d’animation ont une origine commune qui est le dessin traditionnel. Pour pouvoir avoir une séquence animée, il faut une succession d’images qui s’enchaînent. On parle en général de 24 images pour former une seconde d’animation. Dans les années 20 et 30, il a donc été évident que la création d’animations passerait par une succession de dessins faits à la main, d’où le terme de dessin animé. Si aujourd’hui l’animation traditionnelle est devenue minoritaire, c’est à cause de l’évolution technologique. Ainsi, de nos jours, la grande majorité des films utilise une animation par ordinateur qui permet de créer du volume, d’où le terme 3D, et de ne plus passer par une succession de dessins ayant tous une petite modification pour créer le mouvement. On parle d’animation en images de synthèse ou CGI. Le personnage est ainsi animé à l’aide des logiciels de l’ordinateur paramétrés par un animateur qui sera à l’origine des différents designs et réglages. Cette technique modifie drastiquement le travail et simplifie la capture d’image puisque directement intégrée dans l’ordinateur.
Bien que cette animation par ordinateur soit devenue la norme, certains ont voulu continuer de travailler grâce à leurs propres constructions. Et plutôt que d’utiliser le principe d’une succession de dessins, ils mettent en œuvre une succession de photographies. Tout doit ainsi être créé à la main ou à l’aide d’outils : les décors, les personnages, la lumière… Un travail fastidieux mais qui donne un rendu unique, puisque non contraint par les barrières techniques d’un logiciel. Il suffit de trouver les bonnes matières, les bonnes textures pour rendre la vision de l’artiste. Quand les préparatifs sont prêts, ce sont des photographies qui sont prises avec un déplacement du personnage ou du décor à chaque capture et leur enchaînement sera à l’origine de l’animation. C’est pour cela qu’on parle d’animation en stop motion, où on construit un film image par image.
Si cette technique est aujourd'hui utilisée pour faire des films d'animation en intégralité, il faut penser qu'elle a d'abord été pensée comme outil dans le cinéma classique. En effet le cinéma hollywoodien a toujours essayé de proposer de grands divertisements même au début du vingtième siècle, alors que les effets spéciaux et autres ordinateurs étaient loin d'exister. Le stop motion était alors un bon moyen pour créer les effets spectaculaires qui épateraient le public. Les Animatronics de Jurassik Park et les extraterrestres bleus d'Avatar étaient techniquement impossibles à réaliser, la seule solution étant d'utiliser des costumes et des maquettes. Ainsi le stop motion fut-il utilisé pour animer des créatures fantastiques telles King Kong au sein de films en prise de vue réelle. De toutes petites séquences qui ont évolué des décennies plus tard en des films complets. Des univers aux visuels fictifs mais où le moindre détail est pourtant issu du monde réel.
Aardman : L’historique
En 1972 est né le plus connu des studios d’animation en stop motion : Aardman. Peter Lord et David Sproxton en sont les créateurs et ont toujours une place importante au sein du studio. L’histoire d’Aardman se déroule à Bristol, en Angleterre, avec ces deux jeunes qui ont directement démarré par de l’animation en pâte à modeler, une technique pouvant paraître simple, mais étant très peu utilisée à l’époque. Ils ont ainsi travaillé principalement pour la télévision anglaise à leurs débuts et, quittes à utiliser de la pâte à modeler, ils allèrent jusqu’au bout en créant Morph, un bonhomme de terre glaise pouvant changer de forme et d’apparence, un personnage parfait pour les enfants.
Dans les années 80, Nick Park arriva dans le studio, ce qui permit de créer de nouvelles œuvres populaires et reconnues par la profession. En 1989, le court métrage Creature Comforts est diffusé par Channel 4. Ce film humoristique met en scène des animaux de zoo interviewés sur leurs conditions de vie. Nick Park est le réalisateur du projet qui gagna l’Oscar du meilleur court métrage. Cette même année, les personnages qui rendirent célèbre le studio furent créés : il s’agit de Wallace et Gromit. Ils apparaissent dans le moyen métrage A Grand Day Out où Wallace, en quête de fromage pour ses crackers, décide d’aller sur la Lune en compagnie de son ingénieux chien Gromit. Park est là encore à l’origine de ce duo très british qui, tout au long de sa vie, récoltera les récompenses, notamment Oscar et BAFTA. Ce sont des personnages qui portent tout l'esprit du studio en eux : leurs histoires sont drôles et tout public, le design en "pâte à modeler" rend les personnages doux et attachants et le scénario joue souvent sur la maladresse des personnages.
Aardman et le cinéma
Dans les années 80 et 90, le studio prend donc de l’ampleur et continue d’utiliser sa licence phare Wallace et Gromit. Il génère de nouvelles séries animées pour la télévision anglaise, participe à des publicités et produit même un clip pour Peter Gabriel. Aardman s’est diversifié pour survivre et garde encore cet éclectisme à l’heure d’Internet et des applis qui sont générateurs d’argent, malgré leur arrivée au cinéma en l’an 2000. Chicken Run est ainsi le premier long métrage d’animation réalisé par Aardmnan, c’est un premier pas dans le cinéma et surtout c’est un succès avec 224 millions de dollars rapportés pour 45 millions de budget. Un scénario original, mettant en scène des poules parties en lutte contre un fermier voulant les utiliser pour leur viande et non plus pour leurs œufs, et une animation unique en son genre ont permis ce succès. Le monde de l’animation a été marqué par ce film, tout comme le public. Encore aujourd’hui, il est un argument marketing pour inciter les spectateurs à venir voir un film Aardman.
Cinq ans plus tard, le studio met pour la première fois en scène Wallace et Gromit au cinéma avec le Mystère du Lapin Garou, là encore un joli succès avec 30 millions de dollars de budget et 192 millions de recettes mondiales. Ces deux films confirment que l’animation stop motion peut fonctionner avec des budgets restreints et une technique à contre-courant des canons de l’époque qui voyaient l’animation 3D se développer, tandis que Disney avait beaucoup de peine à maintenir l’animation 2D traditionnelle au cinéma.
Pourtant, en 2006, un nouveau film Aardman sort au cinéma, mais il est cette fois-ci en images de synthèse. Souris city coûte cher, 149 millions de dollars, et a du mal à rentrer dans ses frais. Dreamworks qui, jusque-là, apportait un soutien financier à Aardman quitta donc le navire alors qu’il était un des responsables de cet échec. Pendant plusieurs années, le studio revint à la télévision, avec les jolis succès que sont la série Shaun le mouton et de nouveaux épisodes de Wallace et Gromit. Des œuvres réalisées en stop motion. Une nouvelle tentative d’animation 3D de synthèse est effectuée en 2011 avec Arthur Christmas, mais là encore c’est un échec. Il fallut le retour de Peter Lord, le fondateur, derrière la caméra pour repartir sur une dynamique nouvelle.
En 2012, un film en stop motion est donc réalisé, il s’agit de Pirates : Bons à rien. L’utilisation du stop motion permet de réduire les coûts de production et donc de limiter le budget, le succès est ainsi relatif mais l’échec est évité. En 2015, le studio tente de renouer avec le succès en mettant au cinéma Shaun le mouton, le personnage issu de sa série phare vendue dans 180 pays. L'espiègle mouton est populaire et l’animation stop motion est de grande qualité. Le film se veut universel en n’intégrant aucuns dialogues, tout cela en s’inscrivant dans une profonde modernité avec la description du monde actuel et en particulier de l’Angleterre. Preuve s’il en est que ce type de film d’animation peut être à l’origine d’une représentation du réel juste.
Laika : le renouveau
À l’inverse du très installé Aardman, Laika est un jeune studio qui doit sa création à un grand patron cherchant des investissements. On est loin des jeunes étudiants rêvant de faire un long métrage d’animation. Phil Knight, le créateur de Nike, va ainsi injecter massivement de l’argent dans le Will Vinton Studio lui permettant d’en prendre le contrôle et de le renommer en 2005 Studio Laika. L’absence de grand manitou artistique va entrainer une quête d’identité pour Laika et plusieurs domaines sont ainsi exploités : la publicité, l’animation en stop motion, ou encore l’animation 3D par ordinateur qui fera l’objet du premier court métrage du studio, Moongirl. Le premier long métrage auquel le studio participa fut les Noces Funèbres de Tim Burton, pour autant ce n’est pas un film Laika. Le studio a participé à la production et on y ressent d’ailleurs les prémices du style Laika mais le projet dans sa globalité n’est pas celui du studio qui est là d’un point de vue purement technique.
Le premier homme qui marque de son empreinte artistique le studio est Henry Selick, le réalisateur de L’étrange Noël de Mr Jack, un fait pas si étonnant au vu du lien avec l’univers de Burton instillé lors de la production des Noces Funèbres. Selick va donc produire le court métrage Moongirl et surtout réaliser le premier film en stop motion de Laika, Coraline. L’univers adapté d’une nouvelle de Neil Gaiman y est sombre et mature, tout en gardant une grande part d’onirisme, ce qui donna une œuvre tout à fait particulière mais assez effrayante pour le jeune public. Un vrai style Laika va ainsi être créé, des univers adultes ayant leurs côtés sombres et mettant toujours en scène des enfants à l’aide d’une animation stop motion extrêmement détaillée et variée.
Malgré le relatif succès de Coraline qui double sa mise de 60 millions de dollars en bénéfices, Henry Selick quitte le studio et laisse donc vacante sa direction artistique. Un nouveau visage prend ainsi beaucoup d’ampleur, il s’agit de Travis Knight, le fils de Phil qui a financé le studio. En effet, avec l’aide de son père, Travis a travaillé comme animateur au sein du studio, et ayant fait ses preuves il a naturellement pris du galon pour en devenir le président et directeur artistique. Il devient et reste ainsi l’homme fort du studio en donnant sa vision et en conservant ce côté adulte et sombre dans les projets cinématographiques. Ainsi ParaNorman le deuxième film Laika est un hommage clairement assumé à l’univers des films d’horreurs, et les Boxtrolls se font l’écho d’une nouvelle parlant de kidnapping d’enfant par de petits trolls pourchassés par un citoyen peu recommandable. Des sujets pouvant clairement ne pas convenir à tous les enfants. Les films du studio gardent ainsi la même ligne et le même budget à chaque fois, mais leurs histoires assez clivantes les coupent d’une partie du public, les empêchant d’engranger d’importants bénéfices. Le prochain film Laika, Kubo and the two strings, semble ne pas déroger à la règle ; Japon médiéval, monstres, esprits et samouraïs seront présents, un joli programme qui pour autant risque d’enfermer le studio dans une sphère contenant toujours le même public et freinant sa popularité.
Laika et les histoires
Si le studio Laika a su s'inscrire comme une valeur sûre de l'animation, c'est bien entendu grâce à une approche technique proche de la perfection, mais aussi et surtout grâce à des histoires et des univers très particuliers. En quatre films, les créatifs ont su donner une identité à ce studio, en ne faisant jamais de concessions sur le contenu des longs métrages, même si cela devait être clivant pour une partie du public. C'est une démarche pleine d'ambition mais aussi d'honnêteté artistique qui est ainsi mise en oeuvre. En effet, ils utilisent le stop motion au service d'une histoire, ce sont des conteurs et ils comprennent mieux que personne que le drame ou encore la peur peuvent être des moteurs pour faire avancer un récit.
Si l'enfance est le sujet majeur du studio, il n'en reste pas moins qu'il n'est pas tendre avec ses jeunes personnages. Ces contes mettent en avant des enfants-héros, à destination d'un public jeune car ils sont toujours réceptifs aux histoires. Mais comme dans les écrits d'Andersen, ces personnages principaux font face à de graves difficultés pour mieux confronter les spectateurs à la réalité du monde des adultes. Coraline fait face à des faux parents qui la font vivre dans un mensonge du "tout le monde il est beau", ParaNorman est, quant à lui, au coeur de l'irresponsabilité des adultes qui sont facilement intolérants et tournés vers eux mêmes, Oeuf des Boxtrolls est, quant à lui, totalement rejeté par la société, tandis que Kubo doit faire face au poids de la famille et des traditions.
C'est en cela que toutes ces histoires arrivent à faire sens chez toutes les tranches d'âges, car ces modèles enfantins arrivent à toucher nos psychés d'adultes de par leurs parcours tortueux et semés d'embûches. Mais la juste mesure pour s'adresser aussi bien aux jeunes qu'aux adultes est difficile à atteindre par le studio. Ainsi Coraline et ParaNorman, sont des récits qui jouent beaucoup sur les ambiances étranges et horrifiques, qui peuvent être difficilement assimilables par des enfants. Références aux classiques de l'horreur, univers bizarre et dérangeant, cela a permis d'obtenir des visuels très intéressants mais en empiétant sur le côté fédérateur des films. Les Boxtrolls, lui, a repris une vieille histoire anglaise, si les adultes sont dépeints avec beaucoup de défauts, ce sont bien les petits trolls qui sont mis en avant. Des personnages clownesques et étranges qui ont clairement su jouer sur une fibre enfantine.
Le quatrième film s'affranchit un peu de ces univers parfois trop segmentés, en proposant une histoire plus simple et un univers plus réaliste. Kubo, est ainsi un enfant comme il en existe plein d'autres, il aime sa mère et en prend soin. Il est de plus entouré par d'autres personnes, elles aussi aimantes, et qui font face, elles aussi, aux difficultés de la vie comme la pauvreté et la mort d'un proche.C'est en prenant la forme d'un conte classique que le film a réussi à gagner en efficacité dans son propos auprès des spectateurs. Kubo aime ses parents, mais il doit arriver à prendre son indépendance pour prendre les bonnes décisions pour trouver une place au sein de sa famille. Ce sont ainsi les actes fondateurs de la construction d'une personnalité adulte qui sont montrés dans le film, ce qui permet une histoire bien plus universelle. Tout cela étant mis en scène avec une très grande poésie graphique et musicale, qui use habilement des légendes asiatiques comme support des émotions les plus importantes.
Et la technique dans tout ça ?
Bien que les deux studios possèdent des styles très différents en terme de design et d’histoires (rondouillard et comiques pour Aardman, réaliste et sombre pour Laika), il faut reconnaître que leurs techniques d’animation se rapprochent de plus en plus. En effet, Aardman, qui est dans le milieu depuis bien plus longtemps, a conservé une certaine tradition avec des storyboards et dessins préliminaires développés et une modification directe des expressions sur les marionnettes. Les matériaux utilisés pour celles-ci sont facilement reconnaissables pour donner cette impression de glaise facilement modelable. Pour autant, il est extrêmement long et difficile de modifier de manière juste les expressions de visages à la main image par image, et c’est en ça que Laika a réussi son pari d’utiliser pleinement l’ensemble des moyens technologiques à disposition.
Une marionnette garde la même base quel que soit le studio, soit une armature métallique articulée permettant le mouvement qui sera ensuite recouverte de différentes matières et costumes pour lui donner une réelle personnalité. Une fois cette étape passée, Laika a ainsi eu recours dès le film Coraline a du prototypage 3D des visages, c’est-à-dire qu’ils ont utilisé des imprimantes 3D pour fabriquer des centaines de visages aux expressions différentes pouvant se clipser facilement sur la marionnette. Ainsi, plus besoin de toucher le visage à la main, il suffit de le remplacer.
Cet outil permet d’améliorer nettement la précision des expressions et possède un véritable côté pratique très utile aux animateurs. Si Laika a réussi à se démarquer, c’est aussi par le mix des différentes techniques d’animation. Ainsi, dans une même scène il peut y avoir du stop motion principalement, mais aussi de l’animation 2D traditionnelle et de l’imagerie de synthèse 3D qui permettent de rendre des ambiances et des effets impossibles à rendre autrement. L’animation ainsi créée est tout à fait remarquable, à tel point qu’il est difficile de différencier quel morceau de l’image est issu d’une marionnette, d’un dessin ou d’un ordinateur.
Bien sûr, Aardman a aujourd’hui aussi recours à ces techniques, les visages sont eux aussi imprimés, et les images 3D sont utilisées comme pour faire l’eau des mers dans Pirates : Bons à rien. Dans tous les cas, les studios sont soumis aux mêmes contraintes : la construction du moindre élément de décor, le déplacement des marionnettes, le choix des matériaux pour donner des textures, tout cela demande beaucoup de moyens humains et de temps. Ainsi, on considère qu’un animateur peut produire à peine quelques secondes d’images par semaine. Pour autant ce véritable travail d'artisan reste unique en son genre, car même si la préparation de l'animation en cherchant différents matériaux et sa réalisation restent très longues à faire, il reste qu'au final toutes les textures et leurs détails sont bien réels, ce qu'un ordinateur ne peut pas faire, quelle que soit sa puissance.
L’animation en stop motion reste un médium unique en son genre qu’il est difficile de reproduire autrement. Cette technique allie la richesse du travail manuel à des univers complets fourmillant de détails. Elle demande des efforts titanesques, mais permet de donner un rendu d’une réalité et d’une précision inégalés. Aardman et Laika ont tous deux à leur façon permis de mettre en avant cette technique, en conservant pour autant des style bien distincts qu’il faut découvrir et conserver.