Quand on se penche sur l'histoire de l'animation américaine, on pense immédiatement à Walt Disney. Cependant, un autre nom mérite d'être évoqué avec respect : Tex Avery.
Dans l'histoire de l'Art et plus spécifiquement de l'Animation, il existe trois pôles géographiques : le Japon, l'Europe et les USA. Dans ces trois régions, grâce à des artistes venus du monde entier, des milliers d'oeuvres ont progressivement défini les codes d'une industrie populaire qui a marqué plusieurs générations de spectateurs. De ses balbutiements au début du 20ème siècle à ses excès actuels, l'animation a constamment repoussé les limites qui lui étaient imposées, qu'elle soient techniques ou créatives.
De grands artistes se sont succédés pour donner vie à leur monde imaginaire. Parmi eux, il existe un homme qui, bizarrement au vu de son oeuvre globale, ne possède pas l'aura qu'il mérite. Je veux bien sûr parler de Tex Avery, un homme qui a travaillé sur une multitude de projets aujourd'hui considérés cultes. Dans l'ombre du géant Disney, il a profondément marqué l'industrie américaine d'animation par ses trouvailles géniales.
En attendant de trouver un travail
Frederick Bean Avery né en 1908. Après une enfance dans l'Etat du Texas, connu pour ses cowboys et ses quaterbacks, il fait ses études supérieures à l'Art Institue of Chicago. Diplômé en 1926, il ne trouve malheureusement pas de travail dans le milieu de la bande-dessinée. En attendant qu'une place se libère, il se tourne vers les dessins animés, espérant avoir du temps libre pour travailler sur ses projets BD.
En 1929, Avery commence sa carrière chez Universal auprès de l'artiste Walter Lantz, créateur du personnage culte Woody Doodpecker, dont les dessins animés ont conquis le monde entier. Avery travaille aussi avec Bill Nolan, celui qui a modernisé le design de Felix le Chat (vous pouvez lire un excellent article de Daft Venom ICI). Avery est assigné à l'époque sur une série créée par Walt Disney mais détenue par Universal : Oswald le Lapin Chanceux. L'artiste se fait alors connaître sous le nom de Fred Avery. C'est aussi à ce moment-là qu'il devient borgne à cause d'une agrafe... Pour certains spécialistes de l'animation, cet accident va avoir un impact crucial sur son style d'animation.
En 1935, Frederick est engagé chez Leon Schlesinger Studios. Fondé en 1933, cette entreprise est vendue au mastodonte holywoodien Warner Bros en 1944. Avery se voit assigner l'unité 3 du studio et dirige alors une équipe d'artistes ultra-talentueux : Chuck Jones, Bob Clampett, Bob Cannon, Virgill Ross et Sidney Sutherland. Ensemble, ils collaborent sur la série Looney Tunes en noir et blanc, puis sur Merrie Melodies en technicolor (c'est à dire en couleur). On en reparle plus tard, mais c'est à cette époque qu'Avery change à jamais le monde de l'animation par des choix géniaux.
Suite à une dispute en 1941 avec son boss et producteur Leon Schlesinger, Avery quitte le studio. On évoque souvent un conflit lié à une censure de connotation sexuelle. L'artiste rejoint alors brièvement la Paramount, puis la MGM où il officie de 1942 à 1954. Il obtient à cette occasion une nouvelle équipe et change de pseudonyme pour enfin devenir Tex Avery, en honneur de l'Etat du Texas. Il dispose alors d'un énorme budget et d'une grand liberté pour produire ses animés.
En 1954, Tex Avery quitte la MGM. La télévision s'impose dans les foyers, ce qui bouleverse le monde de l'animation. Les délais sont plus courts car les chaînes ont besoin d'un gros stock de dessins animés, avec des budgets moindres mais une attente renforcée en terme de qualité. Epuisé, l'artiste retourne au Walter Lanz Studio, mais pour des raisons salariales, il abandonne l'animation à 50 ans et se reconvertit dans la publicité, jusqu'à sa mort en 1980.
Un héritage gargantuesque
Dessinateur, animateur, réalisateur, Tex Avery est un artiste complet. La grande spécialité d'Avery et de ses équipes, c'est d'insuffler à des personnages une personnalité irrévérencieuse. En travaillant sur les licences de la Warner Bros grâce aux séries Looney Tunes et Merrie Melodies, Avery va pouvoir modeler des personnages amenés à devenir cultes ou créer les siens. Si vous avez déjà vu un de ces vieux cartoons (ou leur remake moderne), vous connaissez forcément Porky Pig (une création de l'animateur Bob Clampett) ou Daffy Duck.
Ce dernier est une des stars des Looney Tunes. À ses côtés, il y a bien sûr Bugs Bunny (créé par Ben Hardaway et Cal Dalton), mais c'est Tex Avery qui construit la personnalité du personnage dès A Wild Hare en 1940 où apparait pour la première fois le chasseur Elmer Fudd. Avery utilise par exemple une phrase très populaire dans son lycée : "What's up, doc ?", ou bien "Quoi de neuf docteur ?" en français.
En allant chez la MGM, Tex Avery crée en 1943 le cultissime chien Droopy, mais aussi la pin-up Red (censurée au début), l'écureuil fou Screwball "Screwy" Squirrel en 1944, les ours George et Junior en 1946 et le bulldog Spike en 1949. C'est aussi lui qui définit l'esprit du pingouin Chilly Willy. Si vous avez vu le film Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, ces personnages vous sont familier. Ensemble, ils vont faire les beaux jours des dessins animés américains des années 40 et 50, ces fameux cartoons qui sont encore diffusés dans certains pays du tiers monde...
Le style Tex Avery peut se résumer en un seul mot : délirant. Tout est fou chez lui, car il cherche à casser les codes, s'opposant ainsi à la référence de l'époque, le studio Disney bien sûr. Tout est possible ! L'artiste aborde tous les sujets tabous chez Walt : le sexe, la politique, le quatrième mur... Par exemple, dans Red Hot Riding Hood, les personnages se révoltent et font redémarrer le film, transformant alors le conte traditionnel en récit pervers. Perforation de l'écran, changement de couleur, tout est possible du moment que c'est drôle. L'artiste va même jusqu'à caricaturer Hitler dans Blitz Wolf. Rythme endiablé, exagérations et surprises sont au programme de ses innombrables films.
Une reconnaissance tardive
Malheureusement, cette liberté de ton n'est pas toujours bien vue. De plus, si le nom de Tex Avery n'a pas la même reconnaissance que celui de Walt Disney, c'est parce que l'artiste n'a pas créé son propre studio. À l'époque, on ne met pas en avant le nom d'un artiste en particulier, mais celui des équipes créatives. L'aura de Disney a dévoré celle des nombreux réalisateurs qui se sont chargés de ses films animations (Walt n'a réalisé aucun des longs métrages classiques de son studio).
En outre, Tex Avery est pendant longtemps aux yeux des journalistes un pseudonyme qui cachait une équipe, pas un seul individu. L'art n'avait pas à l'époque la même médiatisation qu'aujourd'hui, surtout l'animation. Commercialement, on mettait en avant les équipes du studio Lantz, Schlesinger ou de la MGM. Enfin, Tex Avery était d'une nature profondément modeste. Ses combats se concentraient sur sa liberté créative qu'il arrache à ses boss, pas à se faire connaître.
Il obtient tout de même 6 nominations aux Oscars entre 1940 et 1956. Progressivement et durant la seconde partie du 20ème siècle, sa profession reconnaît son importance. De nombreux films et séries animées s'inspirent de son travail, comme The Mask ou les Animaniacs. Le dessin animé Le Monde fou de Tex Avery, produit et diffusé en 1997, est probablement le parfait hommage rendu à un monstre sacré de l'animation. Si vous deviez ne voir qu'un seul animé pour comprendre l'esprit Tex Avery, c'est celui qu'il vous faut.
Daffy Duck, Bugs Bunny, Droopy et tant d'autres, des personnages cultes façonnés par un esprit avant-gardiste. Désormais, vous ne pourrez plus dire que vous ne connaissez pas Tex Avery, une légende de l'animation.
DaftVenom
Le 28 février 2016 à 16:34Des personnages iconique quand même, c'est beau de marquer l'histoire à ce point. Et le générique du monde fou de Tex Avery quel souvenir! :)