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Satyajit Ray : L'autre cinéma indien

La cinémathèque française ayant récemment proposé une rétrospective de monsieur, intéressons-nous à ce monument du cinéma oriental.

Bon les p'tits loups, si, comme moi, vous n'êtes pas descendants d'abonnés Télérama ce nom ne vous dit peut être rien du tout. En même temps j'avoue, qui connaît des noms de réalisateurs bengali ? Et surtout est-ce que les indiens font autre chose que du Bollywood ? Personnellement j'avoue être un peu intolérant mais après deux heures de moustaches chantant leur amour impossible devant des indiennes refaites jusqu'à la mort, je reste plutôt blasé, voire carrément circonspect, si on peut se permettre de sortir les mots du dimanche.

Du coup, quand j'ai vu que la cinémathèque française faisait une rétrospective sur un réalisateur de là bas, ça m'a plutôt emballé parce que j'avais vraiment envie de savoir s'il existait un autre cinéma indien. Et en un sens oui – même si on verra que ça reste tout de même bien influencé par cette forme de cinéma.

Revenons vite fait sur monsieur Ray. Né en 1921, il est le descendant d'une famille bourgeoise bengali, à l'est du pays, très ancrée dans le milieu artistique et intellectuel indien – avec grand papa écrivain/philosophe/éditeur/chef religieux/illustrateur/astronome/dresseur de poules (ok j'ai un peu menti pour le dernier) et un papa écrivain et poète. Il est lui même réalisateur/poète/écrivain/compositeur/illustrateur et est mort en 1992 après avoir avoir réalisé 37 films et documentaires et marqué toute une génération de réalisateurs. Akira Kurasawa déclarera par exemple à son sujet : « Ne pas avoir vu le cinéma de Ray revient à exister dans un monde sans avoir vu le soleil ou la lune ». Ça claque un peu quand même.

L'influence Bollywood

Bon alors pour commencer, regardons un peu les ressemblances avec les moustaches chantantes. On ne retrouve pas ici le côté super kitsch des productions indiennes, à part certaines comme Le royaume des diamants sorti en 1980 et plutôt destiné aux enfants. Il est en fait issu d'une trilogie humoristique, adaptée des écrits de son grand-père, suivant les deux musiciens magiciens Goopy et Bagha. Burlesques au possible, leurs aventures sont évidemment le prétexte idéal pour nous balancer des petites chansons bien stylées en face caméra, mais sans moustache cette fois-ci. Je devrais peut être arrêter de faire cette fixette sur la pilosité faciale indienne, mais honnêtement si on a une réputation de moustachus en France à cause de l'héritage de nos gendarmes (pour la petite histoire son port était obligatoire en France pour les gardiens de la paix jusqu'en 1933), je ne comprends pas pourquoi personne ne parle d'eux avec cette caractéristique parce que PUTAIN ils portent vraiment tous cette splendide joaillerie labiale. Moi, j'aime la moustache. Ok je m'suis un peu perdu là j'avoue.

Redevenons un peu sérieux. En fait, si l'on peut quand même bien trouver un point commun à tout le cinéma indien, je dirais qu'il faut le chercher dans la musicalité de leurs œuvres. Les musiques qu'il compose lui-même sont réellement enivrantes pour la plupart et souvent au centre même des films. Par exemple, l'un de ses chefs-d'œuvres, Jalsaghar, Le salon de musique en français, raconte l'histoire d'un riche mélomane indien descendant de zamindar (des nobles bengalis) et le déclin de cette aristocratie dépassée par le prisme de la musique. La différence entre ce film par exemple et le cinéma classique indien est en fait la manière d'amener la musique dans le récit : chez Ray, ce ne sont pas les protagonistes qui chantent des trucs sortis de nulle part, mais de vrais musiciens qui viennent chez un riche pour jouer. On fait donc face à une approche beaucoup plus réaliste de la musique.

Le rythme

Je me souviens avoir lu quelque part en faisant mes recherches pour cet article que le cinéma de Satyajit était « tel un serpent majestueux », « un flot décontracté, comme celui d'une grosse rivière ». Même si ce sont des métaphores plutôt sympas, en fait qu'est-ce que ça veut dire pour un film ? Les plus perspicaces d'entre vous auront peut être remarqué que le point commun entre ces deux images est en fait leur rythme plutôt lent, et c'est effectivement le cas de ces récits. On pourrait se dire que la musique apporte du rythme à l'histoire, et en un sens c'est le cas. Ray utilise énormément de musique classique indienne et semble vouer une réelle admiration aux compositeurs européens en parallèle.

S'il ne compose pas non plus toutes les bandes-son de ses films, on sent la passion qu'il a pour cette forme d'expression, dont il tombera amoureux avant même le cinéma. Mais, comme je le disais plus haut, c'est très contemplatif. En fait il n'y a pas beaucoup d'action dans ses films, voire pas du tout, et il n'arrive pas grand chose à ses personnages en général. Pour grandement simplifier, ils regardent des trucs et ils causent et nous on les regarde regarder des trucs et causer. Beaucoup des chants et musiques sont diégétiques, à l'intérieur du récit – ça veut dire que les personnages l'entendent aussi et pas seulement le spectateur, seulement les protagonistes ont rarement des réactions très prenantes ou visuelles, tout étant plutôt dans la retenue et l'attention qu'il faut apporter aux détails.

Tranches de vies indiennes

En fait, je dirais que les films de Ray sont surtout des films de gens plutôt que des films de choses. Par là, j'entends que toute l'intensité dramatique est portée par les personnages et non pas par les évènements auxquels ils font face. En fait, on a parfois l'impression que Ray, quand il est sérieux, ne sait parler que de deux types d'histoires. En premier lieu on a des tranches de vie d'indiens démunis, comme c'est le cas avec Sadgati en 1981, Délivrance dans la langue de Molière. On regarde ici la vie d'un intouchable qui, pour marier sa fille, va quérir la bénédiction du brahmane de son village, sorte de prêtre, afin d'obtenir une date favorable à l'union susmentionnée. Évidemment, nous sommes dans un film d'auteur, et le brahmane va demander à notre pauvre Dukhi d'accomplir toute une série de tâches de plus en plus exigeantes physiquement alors que ce dernier vient de se remettre d’une fièvre et n'a pas mangé depuis plusieurs jours – ce qui le conduira à mourir d'épuisement. Cela entraînera toute une série de problèmes pour le brahmane qui sera considéré comme responsable par les villageois, qui refuseront de bouger le corps alors même que sa caste de religieux lui interdit de toucher ce cadavre d'une caste largement inférieure à la sienne. On se croirait limite dans un film de Marguerite Duras. Parce que oui, comme disait Desproges, Marguerite Duras n’a pas fait qu’écrire des conneries, elle en a aussi filmées.

Blague à part, ormis des histoires de pauvres indiens qui crèvent de faim (no offense mais c'est le cas), Satyajit Ray sait parler de bourgeois aussi. Beaucoup. C'est d'ailleurs quelque chose d'assez révélateur de son cinéma en général ; nombre de ses histoires racontent des moments qui pourraient très bien être tirés de sa vie personnelle. Prenons l'exemple de Charulata sorti en 1964 et considéré par beaucoup comme étant son meilleur film. À la fin de XIXe siècle, Bhupati est un jeune et riche intellectuel de Calcutta qui veut prouver au monde, et surtout aux Anglais, que la noblesse bengali n'est pas uniquement composée de branleurs qui passent leur temps à se pougner. Pour ce faire, il délaissera complètement sa magnifique femme Charu pour se consacrer à la rédaction d’un journal politique en anglais dont il est l’éditeur et confiera à son cousin Amal le soin de s'en occuper. Jeune lettré, Amal poussera Charu à écrire ses premières lignes, tandis que cette dernière commencera à développer pour son cousin par alliance des sentiments interdits. Là encore on reste dans des thématiques chères à Bollywood, même si le traitement est très différent. Exemple tout bête illustrant la retenue dont font preuve ses films : si les personnages sont souvent amoureux et qu'il s'agisse d'un sentiment récurrent tout le long de sa carrière, le premier baiser filmé apparaît en 1983 dans Ghare Baire (La maison et le monde), soit presque à la fin de sa vie. C'est d'ailleurs son fils qui passera derrière la caméra pour ce film en raison de nombreux problèmes de santé.

Un cinéma bourgeois

L'une des principales critiques au travail de Ray est le côté très bourgeois de ses productions. Il y a plusieurs éléments qui font effectivement référence à cet aspect dans son œuvre. Déjà, c'est extrêmement beau. D'un point de vue strictement pictural, je pense vraiment pouvoir dire qu'il s'agit des plus beaux noirs et blancs qu'il m'ait été donné de voir avec Ingmar Bergman et Jean-Luc Godard - même si la piètre qualité des images que j’ai pu trouver sur le net ne lui rend pas du tout honneur. Ça s'explique notamment par la composition des plans et la grande qualité des décors. Souvent dans des palais indiens, le rythme lent et contemplatif est réellement propice à l'observation de la minutie avec laquelle tout semble préparé. Je pense d'ailleurs que ce sens du détail a beaucoup influencé la réalisatrice écossaise Lynne Ramsay, qui est connue pour l'utilisation de nombreux détails dans ses plans indiquant l'évolution de l'histoire – c'est par exemple frappant dans son film We need to talk about Kevin que je vous recommande d'ailleurs chaudement.

Mais après la beauté, qu'est-ce qu'il reste de ses films ? Des propos politiques plus ou moins convaincants, des tranches de vie plus ou moins intéressantes... Bref, clairement, selon moi on est vraiment à la limite du divertissement et, à mon sens, il faut vraiment apprécier le cinéma en tant qu'art pour pouvoir se plonger dans ses films, faisant fi du besoin de péripétie qu'on peut éprouver lorsqu'on nous raconte une histoire. Je pense sincèrement qu'on peut s'inspirer du cinéma de Ray sans pour autant en faire des trucs aussi mous – par exemple Wes Anderson reprendra le thème de Charu dans son excellent film À bord du Darjeeling Limited.

En conclusion je dirais que le cinéma de Ray ne s'adresse vraiment pas à tout le monde – plutôt lent et contemplatif, avec des scènes parfois extrêmement verbeuses et tendant limite à la branlette du cervelet. Pour finir mon article comme mon introduction, je vous balance cette petite citation de Truffaut qui fait bien plaisir : « Moi, je n'ai pas envie de voir un film de paysans qui mangent avec les doigts ».

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