Chouchou d’Hollywood depuis quelques années, Denis Villeneuve tend à s’imposer comme LE réalisateur à suivre. Retour sur son incroyable carrière.
Certains d’entre vous ne connaissent peut-être pas le nom de Denis Villeneuve, mais je parie fort sur le fait que vous avez déjà vu au moins l’un de ses films. En effet, depuis 2013 maintenant, il est devenu un réalisateur d’Hollywood respecté et convoité. De par son esthétique, ses thématiques et ses films reposant sur des scénarios originaux ou adaptés, Villeneuve a su créer l’unanimité autour de ses qualités de réalisateur. Il est devenu tellement influent qu’il va réaliser deux films touchant à l'univers de la science-fiction.
Nous allons avoir droit en 2017 à Blade Runner 2049, suite directe du cultisme Blade Runner, sorti en 1982 réalisé par Ridley Scott, et qui va nous raconter la suite des aventures de l’agent Rick Deckard, toujours interprété par Harrison Ford, en compagnie de Ryan Gosling. Enfin, dernier projet, Villeneuve va réaliser le remake/reboot de l’encore plus culte Dune publié en 1965 par Franck Herbert, et qui a déjà connu une adaptation cinématographique réalisée en 1984 par David Lynch qui avait réussi haut la main son pari.
Le fait que Denis Villeneuve soit associé à deux projets aussi gros nous montre bien que les studios ont toute confiance en ses capacités pour se plier à leurs attentes, mais aussi à celle des fans. Cet article aura pour but de revenir sur son parcours en se concentrant sur ses films majeurs, pour comprendre en quoi il est un grand réalisateur en l’état, mais aussi en devenir.
Un 32 août sur terre : un début prometteur
Tout commence véritablement lors de la sortie de son premier long métrage, intitulé Un 32 août sur Terre. Après avoir eu un terrible accident de voiture dont elle sort indemne, Simone Prévost, protagoniste du film, fait un constat sur sa vie : elle ne la satisfait pas. Elle décide alors de tout plaquer et veut absolument un enfant. Elle demande alors à son ami Philippe d’être le père de l’enfant. Celui-ci étant en couple, il hésite franchement, mais accepte à la seule condition que l’enfant soit conçu dans le désert…
Avec ce premier film, Villeneuve signe un film étrange, parfois déroutant avec une réalisation qui pose les prémices de ses futures oeuvres et une photographie saturée donnant un cachet tout particulier au film. Il y a là aussi la volonté de Villeneuve, que l’on retrouve dans chacun de ses films, de traiter d’un aspect du caractère humain en brassant des thématiques larges, ici il s’agit de la mort et de la poursuite du bonheur. Le film ne passa pas inaperçu et même encore aujourd’hui, il possède une petite fan base assez solide. Je vous encourage vivement à regarder cette oeuvre atypique qui est selon très bon et montre vraiment le talent précoce de Villeneuve.
Next Floor : un court métrage précurseur du talent de Villeneuve
L’histoire débute avec des convives en train de manger un opulent repas. Le court métrage va alors nous montrer la dégustation de ce repas, mais de manière tellement gargantuesque que cela va en devenir gênant et parfois insupportable à regarder. Gros plan sur de la viande cuite, sur des bouches en train de mâcher, accélération du montage vidéo, saturation des bruits de bouches, etc. Bref tout est fait pour susciter le malaise. Les personnages mangent trop, deviennent trop lourds ce qui entraîne leurs chute à l’étage au-dessous. Puis le majordome en chef prévient tout le monde au travers d’un microphone de descendre d’un étage en disant simplement : « Next Floor ». Les convives, eux, sont toujours à leurs tables, couverts de suie, mais continuent de manger inlassablement…
Le ton est donné : une situation énigmatique, aucun dialogue, une réalisation léchée, une situation gênante et un scénario qui semble inexistant. Vraiment ? Non car derrière cela, Villeneuve aborde un propos, une thématique tout en laissant de la place pour l’interprétation de chacun. La théorie qui revient le plus souvent sur Internet, est celle de la métaphore de la lutte des classes, les convives représentant la classe bourgeoise ou encore le patronat, et les majordomes les prolétaires qui apportent leurs forces de travail. Mais chacun peut y voir sa propre interprétation et en cela, le court métrage vaut le coup !
Incendies : confirmation de l’ingéniosité de Villeneuve
Inspirée de la pièce du même nom de Wajdi Mouawad, le film nous raconte l’histoire de jumeaux, Jeanne et Simon, qui se voient remettre en guise de testament suite au décès de leur mère deux lettres : une pour leur père (qu’ils croyaient mort) et une autre pour leur frère, dont ils ignoraient l’existence. Ils ont interdiction d’ouvrir ces lettres sans les avoir remises à leurs destinataires. Commence alors un long voyage initiatique sur leurs origines, qui ne sont pas celles qu’ils soupçonnaient…
Pour moi tout est excellent : la réalisation se base essentiellement sur des plans fixes qui permettent de donner une dimension contemplative au film, laissant la possibilité aux spectateurs de ressentir des émotions offertes lors de scènes choc. Je pense notamment à la scène du sniper qui est une simple succession de deux plans fixes, et qui est d’une puissance terrifiante. L’un des plans (en gros plan) le montre regardant dans son viseur et l’autre, montre seulement une voiture derrière laquelle des enfants sont cachés…
La musique et le bruitage sont aussi géniaux, ils nous plongent tous les deux dans une atmosphère très réaliste. Les acteurs sont également très convaincants. Plus que tout, la nuance apportée au scénario et à la mise en scène du conflit religieux entre chrétiens et musulmans au Moyen Orient porte le film de bout en bout, donnant un film d’une rare beauté mais aussi d’une rare violence physique et émotionnelle.
Prisoners : arrivée à Hollywood
Villeneuve débarque alors en 2013 avec un gros projet nommé Prisoners et avec du lourd au casting : Hugh Jackman et Jake Gyllenhal dans les rôles principaux. Le film met en scène deux pères de famille, dont l’un, Keller, est interprété par Hugh Jackman, qui voient leurs filles respectives être enlevées au même moment dans leurs petits quartiers résidentiels. Très vite, les soupçons se portent sur un jeune homme, souffrant visiblement de troubles mentaux, mais les preuves manquent et il est rapidement relâché. Cependant le temps presse, les fillettes étant toujours disparues, l’un des pères de famille décide de prendre des initiatives pour savoir où se trouve sa fille, ce qui ne sera pas sans conséquences...
Avec ce thriller psychologique, Villeneuve signe un tour de force de réalisation. En enfermant ses personnages dans l’angoisse du questionnement au sein de leur quotidien, le réalisateur parvient à les faire sombrer dans une enquête émotive et violente dans laquelle la vérité semble inatteignable. Les protagonistes de l’histoire vont alors tomber dans un cycle de violence, entraînant le scénario dans des situations inattendues.
La réalisation reste assez sobre, mais puissante de par les lieux qu’elle met en scène. Les acteurs sont excellents, en particulier Hugh Jackman et le scénario reposent là encore sur un twist final (ce qui va devenir le gimmick des films de Villeneuve par la suite) utilisant la fameuse technique scénaristique du fusil de Tcheikov. Un très bon premier film au sein d’Hollywood qui ne présage que du bon pour la suite.
Ennemy : prise de risque
Enfin, sort la même année, en 2013, Ennemy, thriller psychologique poussé à l’extrême avec Jake Gyllenhal dans le rôle titre. Ici, le personnage principal, Adam, se retrouve confronté à son jumeau qu’il ne connaissait pas et qui débarque dans sa vie du jour au lendemain. Il a exactement la même tête, le même corps et les mêmes marques… Tout se retrouve bouleversé : son travail, sa vie personnelle qu’il partage avec sa femme (incarnée par Mélanie Laurent). Jaloux de la vie de son double, Adam va se mettre à épier son jumeau et va commencer à s’imaginer les scénarios les plus invraisemblables…
Ennemy est une œuvre singulière qui paraît très complexe au premier abord, mais qui, une fois analyse effectuée, prend tout son sens, tant les indices sur le propos du réalisateur sont mis en évidence tout au long du film. Il possède une vraie réalisation avec une mise en abyme entre la psychologie du personnage principal et la grandeur de l’environnement urbain dans lequel il évolue. Jouant sur les faux semblants, le réalisateur arrive à nous mener en bateau tout au long du film tant l’ambiance et le scénario semblent étranges. Mais une fois les clés de compréhension découvertes, elles sont trouvables facilement sur Internet, on peut apprécier le propos de Villeneuve au travers d’une seconde relecture tout en la confrontant avec son opinion première. Une prise de risque, mais qui fonctionne diablement bien.
Sicario : une plongée au coeur des cartels
Sicario est sorti 2015 avec au casting du très lourd, comme Benicio Del Toro, Emily Blunt et Josh Brolin. Le film met en scène l’agente Kate Macer qui intègre une unité spéciale de la lutte contre le trafic de drogues entre les États-Unis et le Mexique. Elle va être chargée d’entrer clandestinement au Mexique afin de tuer le chef du cartel de Juarez. Véritable film de gang, celui-ci s’intéresse à la relation entre la « fin » et les « moyens » : quels prix sommes-nous prêts à payer pour résoudre une situation, ici celle du trafic de drogue, qui pénalise la vie des populations et les ancre dans la pauvreté et la violence.
Tout est fait pour faire monter la tension : cadres larges, montage souvent au ralenti, musique minimaliste, etc. Bref, tous les ingrédients pour susciter chez les spectateurs une sensation d’insécurité. Les lieux traversés par les personnages constituent aussi une part importante de l’immersion dans le film. L’utilisation du personnage féminin est aussi utile dans le développement du scénario. Loin des clichés, le rôle d’Emily Blunt sert le propos sur la violence humaine et ses tares les plus terribles. Un film angoissant et qui réserve de petites surprises de scénario plutôt bien amenées !
Premier contact : dernier né de Villeneuve
Sorti en 2016, il nous raconte l’histoire de Louise Banks, une linguiste (jouée par Amy Adams), qui est recrutée par l’armée américaine pour établir le contact avec les extraterrestres qui viennent de débarquer à 12 endroits sur Terre. Mais très vite, l’instauration d’une relation semble plus complexe et mystérieuse que prévu…
Ici, le but de Villeneuve était de montrer la non-capacité de l’être humain à communiquer avec ses congénères. Le parallèle avec le premier contact entre les humains et les extraterrestres n’est qu’un prétexte pour donner son avis sur la capacité de communication de l’humain. Qu’est ce qui fait véritablement le langage ? Le fond ou bien la forme ? Deux personnes n’ayant pas le même langage peuvent-elles voir un objet de la même manière ? En vulgarisant cette problématique, Villeneuve dégage une réflexion nette sur la capacité de communication dans notre société, liant tout cela à l’histoire personnelle de la protagoniste, donnant ainsi un aspect dramatique et fondamentalement humain dans ce récit à l’ampleur métaphysique.
Encore une fois, même si des indices sont disséminés dès le début du film, la résolution du scénario repose sur une révélation finale qui a le mérite de renouveler un concept cher à la science-fiction. Une vraie réussite qui se savoure encore et encore !
Pour terminer, si je devais résumer le cinéma de Villeneuve, je dirais qu’il est hétéroclite, esthétisé et surtout qu’il est puissant. Car dans chacun de ses films, il essaye de transporter et de faire réfléchir ses spectateurs avec des histoires originales et prenantes, servies par des personnages forts.
Bouya
Le 25 mars 2017 à 21:22très bon article sur un réalisateur bourré de talent et d'ingéniosité :)