Que ce soit dans les mangas, les animes ou les films japonais, le bushidô a souvent une place importante. Mais qu’est-ce au final ?
Lorsque vous vous plongez dans une oeuvre issue du passé du Pays du Soleil Levant (et aussi parfois dans le présent), il y a souvent des allusions à un art de vivre et un code de conduite : le bushidô, la voie du guerrier. Vous en avez peut-être compris les grandes lignes, mais en avez-vous saisi les nuances ? Pas forcément ? Alors je vais vous emmener faire un petit voyage à travers le temps et l’Histoire.
L’origine des samouraïs : les bushis
Avant toute chose, parlons de ceux pour qui ces règles ont été édictées : les samouraïs. Laissez-moi endosser mon costume de professeur et actionner ma machine à remonter dans le temps. On peut constater que la caste des samouraïs, alors appelés bushis “guerriers”, a vu le jour pendant la période de Nara (710 - 794), en 721 pour être plus précise.
C’est Fujiwara Nakamaro, alors dirigeant du clan dominant de l’époque, les Fujiwara donc, qui décide de constituer des troupes de guerriers pour défendre le Japon et s’approprier les territoires du nord alors encore occupés par les Aïnous. Il faut savoir que cette peuplade occupait le pays à l’origine et fût chassée et repoussée toujours plus loin dans le territoire par les Japonais, qui les jugeaient inférieurs à cause de leur peau claire et de leur système pileux plus développé. C’est ainsi que les bushis virent le jour. Le mot samouraï, qui signifie “servir” sera utilisé plus tard, vers le 10e siècle.
Les guerriers au pouvoir
De gardes armés, les bushis vont prendre de l’importance et finir par se hisser au niveau de la noblesse. En effet, vers 1185, à la fin de l’ère Heian (794 - 1185), le gouvernement ainsi que l’aristocratie de la cour ont été incapables de gérer les conflits qui éclatent un peu partout. C’est alors que l’empereur fait appel aux clans guerriers qui se sont principalement établis dans le nord et l’est du Japon. Ceux-ci, après avoir reçu des domaines étendus en remerciement de leurs bons et loyaux services, se sont organisés de manière féodale et protègent les paysans des pillards. Les bushis prennent donc le pas sur les nobles ( les kuges) et une ascendance certaine sur le Japon. C’est le début de l’ère Kamakura (1192 - 1333) placée sous le signe des militaires.
Les samouraïs (vous vous souvenez, ce nom a émergé vers le 10e siècle) sont des guerriers, mais ne pensez pas que ce sont des gros bourrins qui ne pensent qu’à une chose : taper. Non, non, ils sont aussi cultivés et érudits que leurs homologues nobles et ont même pour ambition de les surpasser afin de montrer leur supériorité et leur prouver qu’ils ne sont que des fats doublés de pleutres comme eux.
Si les samouraïs ont tenu un rôle clé auparavant, c’est avec l’accession au pouvoir d’un certain Ieyasu Tokugawa qu’ils vont vraiment dominer le pays pendant plus de 250 ans. C’est l’avènement de la période nommée le Bakufu d’Edo, le gouvernement shogunal, en 1616 où c’est un shogun qui possède le pouvoir et où l’empereur n’a de chef de l’État que le nom qui va leur donner le pouvoir.
Là, va s’élaborer une société articulée quasiment entièrement autour des samouraïs, qui ne composent que 7 % de la population et où les daïmyos, le chefs de clan samouraï, deviennent très puissants.
On reconnaîtra leur appartenance à cette caste à leurs deux sabres, un court et un long, qu’ils portent en toutes circonstances à leur côté. Car ne pas porter le symbole de leur condition est une grave atteinte à leur honneur (ce terme revient souvent, je vous préviens).
Les droits des samouraïs
Avec tout ce pouvoir qui échoit entre leurs mains, nos guerriers japonais ont certains droits.
Parmi ceux-ci, il y a celui de pouvoir tuer sur le champ une personne qui leur a manqué de respect. Cet acte se nomme le kirisute gomen. La légende voudrait qu’un samouraï pourfende sur le champ le malotru qui a eu l’arrogance de lui porter préjudice dans un grand arc de cercle meurtrier de son sabre brillant (ne rigolez pas, c’est à peu près cette image-là qu’ils voulaient véhiculer).
En outre, ils peuvent également avoir des patronymes. Oui ils ont droit de porter des noms de famille, ce que les gens du commun ne sont pas autorisés à posséder. Étrange me direz-vous ? Il me semble bien que chez nous c’était aussi le cas il y a bien longtemps.
Pour finir, les samouraïs ont un droit un peu, comment dirais-je… à double tranchant… Puisque lorsqu’il a commis un acte qui a porté atteinte à son honneur, il a le droit de le récupérer… ceci en échange de sa vie, puisqu’il peut procéder à une cérémonie nommée le seppuku (contrairement à ce que les Occidentaux pourraient penser, le mot harakiri est beaucoup moins utilisé chez les Japonais car ce n’est pas employé pour les samouraïs mais pour les gens du commun)… Rituel qui consiste à s’ouvrir le ventre dans un ordre très précis : un coup à gauche, un autre à droite, on remonte puis on descend pour ensuite sortir les entrailles (oui je sais, bon appétit à vous). Une fois la chose accomplie, le kaishaku, une sorte d’assistant, a le droit de mettre fin aux souffrances du malheureux en lui tranchant la tête. L’homme a ainsi recouvré son honneur… et perdu la vie d’une manière atroce.
Le bushidô, des influences diverses
Si à la base, le bushidô était un ensemble de règles orales, donc modifiables, établies lors de l’ère de Kamakura, sous l’égide de Minamoto no Yorimoto, elles seront rendues immuables par l’écriture au XVIIème siècle. Elles se nomment le bushi shohatto, en opposition au kuge shohatto (les règles de comportement des nobles de cour). Elles sont un savant mélange de la doctrine guerrière pré-Bakufu, de bouddhisme zen et de shintoïsme avec une pointe de doctrine confucianiste.
Le shintoïsme est la religion originelle des Japonais. Il apporte au bushidô la notion de respect envers l’Empereur ainsi qu’envers leur seigneur. Elle prône aussi le respect des ancêtres et la piété filiale.
Le bouddhisme, notamment le zen (totalement différent de notre conception européenne du zen qui insinue qu’il suffit de rester calme alors qu’en fait il s’agit plutôt de se poser des questions existentielles (ou pas) sur la vie), inspire une sorte de résignation et de passivité face au destin et à l’inévitable. Donc face à la mort. Le samouraï ne craint donc pas de perdre la vie. Au contraire, la mort leur est une compagne de tous les instants.
Quant au confucianisme, il apporte une notion d’éthique. Cinq règles fondamentales s’inscrivent dans l’équation : la justice, la bienveillance, la correction, la sagesse et la sincérité. Elles sont renforcées aussi par le sens du devoir, la loyauté et le courage.
De plus, le samouraï a le devoir d’acquérir le savoir. Mais pas n’importe comment, il se doit d’assimiler ses connaissances et de les avoir comprises. Car un savoir artificiel n’est bon que pour les kuge et donc indigne d’un samouraï.
Les règles du bushidô
Le samouraï se doit de suivre des règles que j’assimilerai à une philosophie de comportement ou des vertus indispensables. Il y en a sept, plus deux petites adjonctions accolées.
Tout d’abord, la rectitude, autrement dit l’honnêteté. Comme ce mot l’indique, il ne doit jamais s’écarter du droit chemin, celui qui est tracé pour lui.
Le courage et la maîtrise de soi sont aussi indispensables dans l’attirail du samouraï. D’après Confucius, il faut faire ce qui est juste. C’est une force d’âme qui permet de braver le danger et la souffrance. Il doit garder le contrôle de lui-même en toutes circonstances et ne doit pas se laisser dominer par ses instincts.
La bienveillance et la compassion sont des qualités importantes, il se doit d’éprouver de l’amour, de la sympathie et la conscience de ce qu’est la noblesse des sentiments. Preuve de la noblesse d’âme de nos guerriers.
La politesse est également un élément très important dans la vie des samouraïs. Tout est question de politesse : marcher, parler, manger, boire le thé etc. Cette façon de se contrôler, de montrer une certaine sérénité apporte sagesse et maîtrise de soi. Elle permet aussi de montrer son intérêt pour autrui et son environnement. D’ailleurs pour assimiler cet art de vivre, de nombreuses écoles d’étiquettes ont été fondées à cette époque. On y apprenait le sadô (voie du thé) par exemple.
Mais sans la sincérité, la politesse n’est rien. Briser un serment ou biaiser est considéré comme de la lâcheté. Ainsi, le samouraï n’a-t-il qu’une parole. Mettre ladite promesse par écrit est une atteinte à l’honneur de celui qui promet.
Comme vous vous en doutez, le samouraï donne une grande importance à son honneur, une conscience prononcée de sa dignité. Toute désobéissance au code du samouraï ou encore à un supérieur engendre honte et déshonneur.
Enfin, le samouraï doit également faire preuve de loyauté en toutes circonstances envers son maître qu’il fasse de bons ou de mauvais choix.
Le rônin, un cas à part
Je me dois de parler des samouraïs devenus rônins, c’est à dire “sans maître”. Un rônin est donc un guerrier qui a perdu son honneur et sa situation sociale soit en ayant perdu son maître pour une raison X ou Y, soit en ayant commis une faute grave. Si avant le Bakufu des Tokugawa, il y avait peu de rônins car les règles étaient plus souples. Celles édictées ensuite firent augmenter le nombre de ces samouraïs déchus. Ils n’avaient pas le droit entre autres de changer de maître, ou encore de se marier en dehors de leur clan ( bonjour la consanguinité à force…).
Ainsi, quand l’un d’entre eux voyait son maître mourir en laissant son fief sans descendant ou encore faire banqueroute, il lui était quasiment impossible d’en retrouver un autre à cause de cette maudite loi. Certains rônins se tournaient donc vers d’autres occupations et devenaient paysans ou encore moines itinérants. Mais beaucoup d’entre eux finissaient par choisir la voie du banditisme, sans doute dégoûtés de la rigidité de règles édictées sur des faits indépendants de leur volonté.
Il existe la légende des 47 rônins, qui relate l’histoire vraie de 47 guerriers ayant perdu leur maître, assassiné par un rival, et qui vont partir dans une grande croisade visant à venger leur défunt chef.
De nos jours, le mot rônin est encore utilisé, mais plus dans le vocabulaire guerrier. Il désigne les étudiants qui ont échoué à leurs concours d’entrée à l’université et qui patientent afin de pouvoir retenter leur chance. On y retrouve cette symbolique de fin d’appartenance à un groupe, ici celui du milieu universitaire.
Et les femmes dans tout ça ?
Vous commencez peut-être à connaître mes écrits et il se passe rarement un moment où je n’évoque pas les femmes. Eh bien, contrairement à ce que l’on pourrait penser, vu comme les Japonais d’aujourd’hui sont macho, les femmes de samouraïs n’étaient pas toujours enjointes à se terrer chez elles, à être belles, à se taire ou à bêler en attendant que leur héros rentre à la maison. Pour commencer, pour les plus haut placées socialement, elles commandaient aux bushis laissés en arrière par leurs époux partis au combat.
Ensuite, elles se devaient de maîtriser l’art de manier un petit sabre et de se défendre. En effet, elles avaient pour obligation de porter une courte lame proche de leur coeur afin de pouvoir tuer leur ennemi s’il les attaquait ou, si elles en étaient incapables, le cas échéant, se donner la mort si leur situation était désespérée.
Par ailleurs, avant l’ère Edo, il faut savoir que les femmes pouvaient apprendre le kyûdô, c’est à dire l’archerie, et même l’art du sabre, il y en eut même qui devinrent de farouches guerrières.. Elles furent cependant retranchées au rang d’inférieures avec l’arrivée de Tokugawa au pouvoir. Leur rôle était essentiellement de se marier et d’éduquer leurs enfants dans la pure tradition du bushidô pour les garçons et de la femme idéale selon les Japonais de l’époque pour les femmes.
Des règles encore vivaces
De nos jours, si le port du kimono ou du hakama (sorte de pantalon large que l’on porte avec un haori, une veste à manches évasées) ne choque personne au Japon et est une pratique régulière, le port du sabre, lui, a été banni et l’hégémonie des samouraïs n’est plus qu’un lointain souvenir. Cependant, certaines doctrines et habitudes sont restées dans la culture japonaise.
Par exemple, quand on voit que les hommes disent qu’ils n’ont qu’une parole et qu’il en va de leur honneur, il ne faut pas prendre ça à la légère. Dans les oeuvres japonaises, ce genre de promesse est juste inviolable (enfin pour ceux qui ont de l’honneur). Ainsi, dans les entreprises, un contrat signé c’était compliqué.
La politesse est aussi un élément indispensable de la culture japonaise, à tel point que tout un vocabulaire est utilisé en fonction de celui qui donne ou reçoit est supérieur (aîné, chef etc.), égal (fratrie, camarade de promotion, etc.) ou “inférieur” (plus jeune, sous-fifre etc.). Et le tout devient parfois un joyeux micmac car de nos jours, les jeunes maîtrisent de moins en moins. (Pour le pratiquer, je vous garantis que c’est un vrai pensum).
En outre, les arts martiaux tels que le judo, l’aïkido, le karaté, le kendo, le jujitsu ou le chanbara, qui ressemble au kendo sauf qu’il a des règles moins strictes et qu’on peut y utiliser des armes différentes ont gardé les règles et les principes du bushidô. Ainsi, la tradition ne s’est-elle pas perdue et se perpétue dans les dojos, où les maîtres enseignent ces valeurs à leurs disciples.
Une forte influence sur la fiction
Au final, quand je regarde des animes, ou encore ouvre les pages de mangas, je ne peux m’empêcher d’en voir les règles transpirer. Ceci, bien sûr, surtout lorsque le combat est au centre de l’histoire. Là, fidélité, honneur, compassion, loyauté sont des valeurs qui sont invariablement évoquées.
Si je devais ne citer que quelques mangas/animes, je dirais que Saint Seiya de Masami Kurumada, avec ces chevaliers tous dévoués à leur princesse et bien décidés à la protéger au péril de leur vie sont le reflet direct de cette société de samouraïs. Sailor Moon de Naoko Takeuchi, ce manga où des filles se battent pour la justice et retrouver leur chère princesse n’échappe pas non plus à ces principes : la loyauté, un maître à servir en la personne de Serenity etc.
Je pourrais citer bien d’autres animes/mangas comme Bleach de Tite Kubô, où au final on y retrouve les codes au travers de la société des Shinigamis. En même temps, leur sabre étant le centre de leur vie, on comprend tout de suite qu’on est en plein dans cette optique.
Dans le cinéma je ne peux que citer les films de chambara qui mettent en scène ces fameux samouraïs et leur code d’honneur ainsi que leurs épiques combats de sabre comme les 7 samouraïs d’Akira Kurosawa (qui ont inspiré les 7 mercenaires, l’histoire étant sensiblement la même, aider un village attaqué par des bandits) ou encore Les 47 rônins de Kon Ichikawa, histoire dont je vous ai parlé un peu plus haut.
Pour ce qui est de la littérature et si vous voulez découvrir un peu ce monde, je ne peux pas ne pas citer la série Musashi d’Eiji Yoshikawa (dont s’est inspiré Takehiko Inoue (Slam Dunk) pour son manga Vagabond) , deux romans nommés respectivement La pierre et le sabre et La parfaite lumière, qui relatent les aventures d’un célèbre samouraï du 17e siècle ayant réellement existé : Musashi Miyamoto qui a consacré une partie de sa vie à explorer la voie du samouraï. C’est un best-seller mondial qui a su fasciner de nombreux lecteurs.
Vous l’aurez compris, si les samouraïs ont disparu depuis bientôt 200 ans, leur esprit n’en a pas moins perduré dans la société japonaise actuelle. Maintenant, vous saurez en distinguer quelques nuances.