Depuis des années, on parle d’un essoufflement des blockbusters estivaux. Cette édition 2017 restera commercialement parlant comme la pire à ce jour depuis une décennie.
Si l’industrie du cinéma américain a énormément évolué depuis l’introduction du concept de blockbusters (films à gros budget et grand public), les spécialistes et fans restent attachés à l’idée d’une saison estivale qui exploserait tous les records en terme de recettes en salles. Traditionnellement, la saison estivale aux USA débute le 1er vendredi de mai et se termine le 1er lundi de septembre. La majorité des entrées se font chaque week-end du vendredi au lundi, d’où ce choix des jours. Depuis 2007, cette période a toujours rapporté plus de 4 milliards de dollars de recettes à l’industrie rien qu’en entrées au cinéma. En 2017, la facture finale a atteint “seulement” les 3,73 milliards de dollars.
Il n’est donc pas question de se pencher sur la rentabilité réelle d’un film. Déjà, nous ne connaissons pas les vrais coûts engendrés par la production, on se base sur ce qui est annoncé. Surtout, les énormes dépenses marketing ne sont jamais révélées. Or, aujourd'hui, c’est une part majeure du coût d’un blockbuster qui matraque presque un an avant sa sortie sa présence pour s’imposer auprès du public. Et la véritable rentabilité doit aussi prendre en compte les produits dérivés, accords télévisés et sorties en VOD/Blu-Ray.
L’attente envers ce type de film est toujours plus forte. Les chiffres fous de certaines grosses sorties (Avatar, Avengers, Jurassic World) poussent à espérer toujours plus. Enfin, nous n’allons pas comparer ici l’inflation des prix des entrées, donc mécaniquement des recettes. Pour finir, voici la manière dont seront présentés les chiffres pour chaque film diffusé en salle : (Recettes en millions de dollars/Budget annoncé hors marketing)
Le plus mauvais cru en une décennie
Avant d’essayer de comprendre le sort de ces films, jetons un rapide coup d’oeil sur les années précédentes. Certaines étaient portées par des grosses sorties, comme en attestent les trois meilleures entrées à chaque fois :
2016 : Dory, Civil War et Suicide Squad
2015 : Jurassic World, Avengers 2 et Vice-Versa
2013 : Iron Man 3, Moi Moche et Méchant 2 et Man of Steel
2012 : Avengers, The Dark Knight Rises et The Amazing Spider-Man
2011 : Harry Potter 8, Transformers 3, Very Bad Trip 2
2010 : Toy Story 3, Iron Man 2, Twilight 4
2009 : Transformers 2, Harry Potter 6 et Up
2008 : The Dark Knight, Iron Man et Indiana Jones 4
D’autres années n’ont pas eu de locomotives pour porter le box office global, mais celui-ci fut tout de même plus puissant qu’en 2017. Ainsi, en 2014 nous avions à l’affiche Guardians of the Galaxy (une nouveauté risquée), Transformers 4 (lassitude du public) et Maleficent (un faux Disney) qui ont mené une édition conclue à 4,058 milliards de dollars. En 2007, ce sont Spider-Man 3 (lassitude), Shrek 3 (lassitude) et Transformers (surprise) qui ont été le fer de lance d’une édition à plus de 4,210 milliards de dollars.
Notons que l’arrivée en masse de la 3D pour les blockbusters peut être réellement datée d’après 2010 (année d’Alice au pays des Merveilles, le film d’animation Dragon et Clash of the Titans), ce qui met en valeur les éditions entre 2007 et 2011. Surtout, l’été 2017 a vu 242 films (3ème plus gros total depuis 10 ans) être projetés. C’est donc la moyenne par film qui pose problème, la pire de la décennie avec 15,4 millions de dollars de recettes par films. Ce n’est même pas un problème de cannibalisme, certaines sorties pouvant éclipser d’autres. Au contraire, avec une chute moyenne de 47,8% des entrées après une semaine, l’édition 2017 est la meilleure en la matière sur la période. Justement, peut-être qu’elle a manqué de vraies locomotives...
Les femmes au pouvoir
Le fait que Wonder Woman soit le plus gros succès de l’été est symptomatique du problème. Celui-ci n’était nullement programmé par son studio ou l’industrie et n’a d’ailleurs pas engendré un raz-de-marée dans les salles. Toutefois, Wonder Woman (411 millions de dollars de recettes/149 millions de dollars de budget) est un énorme succès pour la Warner. Premier film en terme d’entrées du DC Universe, loin devant Batman v Superman (330 millions de dollars de recettes), il prouve que la licence peut générer des succès en dehors de ses deux méga-stars.
Il faut attendre la 10ème place des entrées pour trouver un autre franc-succès qui en plus n’est pas un blockbuster. Inconnu en France, il s’agit de Girls Trip (114/19), comédie “afro-féminine” avec Jada Pinkett-Smith et Queen Latifah. Elle est réalisée par un spécialiste du genre, Malcom D. Lee (The Best Man Holiday, Barbershop The Next Cut). Ce film précède la bonne surprise de l’été, Baby Driver (107/34) par Edgar Wright (Hot Fuzz, Shaun of the Dead) avec Kevin Spacy et Jamie Foxx. Un budget maîtrisé, une communication loin d’être outrageuse, soit un joli succès.
Le cinéma de genre plébiscité
On enchaîne avec Annabelle Creation (99/15), film d’horreur qui fait mieux que le 1er (84) mais moins bien que les deux Conjuring, issus de la même franchise. Saluons à la 17ème place The Hitman’s Bodyguard (70/30) plus gros succès de Ryan Reynolds hormis Deadpool depuis Safe House (126/85) en 2012, justement le même type de film pour l’acteur (à l’époque avec Denzel Washington).
Dans le même genre, moins puissant en recettes mais presque plus ambitieux créativement, Atomic Blonde (51/30) est 19ème. Il fait mieux que John Wick (46/20), dans la même veine et avec David Leitch déjà aux commandes. Pour Charlize Theron, c’est son 9ème meilleur succès, sachant qu’on peut enlever Fast & Furious ou Blanche Neige et le Chasseur de sa liste. C’est d’ailleurs mieux que des films du même genre portés par des hommes tout aussi célèbres, soit Jack Ryan en 2014 avec Chris Pine (50/60) ou The Man from UNCLE (45/75) en 2015.
Pour finir, saluons les succès d’Everything, Everything (34/10), Kidnap (30/21) avec le retour d’Halle Berry et Wind River (29/11) avec un duo d’Avengers.
Les super-héros, dominants et fragiles
Passons maintenant aux films qui sont financièrement des succès (enfin, de ce qu’on en sait) mais qui ne peuvent pas totalement satisfaire leurs producteurs. On commence avec la deuxième meilleure entrée estivale, le bien nommée Guardians of The Galaxy 2 (389/200). Son score est légèrement supérieur au premier (333) et bien supérieur aux autres suites directes made in Marvel, que ce soient Captain America 2, Iron Man 2 ou Thor 2. C’est toutefois moins bien que Avengers 2 (459) et le film ne parvient pas à tout exploser, malgré une attente certaine.
Restons chez Marvel avec le retour d’un ancien roi du Box Office, notre ami Peter Parker. Spider-Man Homecoming (330/175) complète le podium 2017. Il n’est toutefois que le 4ème meilleur succès de la franchise Spider-Man (rappelez-vous les histoires d’inflation) et le 7ème Marvel. Pour l’anecdote, le film ne dépasse pas le million en France malgré ses énormes qualités. On peut au moins se rassurer en se disant qu’il fait mieux que les Amazing (le 1er est à 262 millions de dollars de recettes, le second à 202).
Les cas épineux
En 4ème, c’est Moi Moche et Méchant 3 (261/80) qui est loin du second épisode (368) ou du spin-off Minions (336). Il n’arrive même pas à dépasser la nouveauté Sing (270 en fin 2016) du même studio, qui se console en dépassant une nouvelle fois le millard de dollars de recettes dans le monde. Pour Dunkirk (185/100), Christopher Nolan reste loin derrière Inception (292) mais se positionne juste derrière Interstellar (188), son dernier film en date.
Avec The Emoji Movie (83/50), Sony Pictures Animation fait presque deux fois mieux que les Schtroumpfs sorti cette année aussi. Cela reste faible selon moi dans le marché de l’animation vu le sujet “tendance” (mais casse-gueule), la ressemblance avec Vice-Versa ou la capacité du studio de dépasser la barre des 100 millions de dollars avec des films comme Hotel Transylvania ou Tempêtes de boulettes géantes.
Même constat pour Capitaine Superslip (73/38), succès sur la forme mais mais loin d’autres films Dreamworks Animation comme The Boss Baby (174) sorti cette année ou Megamind (148/130). Le film reste bien sûr très rentable. Pour finir avec cette partie, on aurait pu attendre plus de The Glass Castle (16) avec Brie Larson ou du gros casting des Proies (10) de Sofia Coppola, même si elle n’a jamais fait frétiller le box office.
Les échecs prévisibles ?
Il est temps de passer à ces films qui symbolisent la lassitude du public. Vous allez voir qu’en majorité, les échecs sont des reboots, remakes ou énièmes films d’une trilogie qui ne fait plus rêver personne. À la 6ème place des entrées de l’été 2017, Pirates des Caraïbes 5 (172/230) est le parfait exemple qu’il est temps d’arrêter. Il fait moins bien que le précédent (241) alors que le deuxième épisode était monté à 423 millions de dollars de recettes.
Cars 3 (152/NA) est dernier de la trilogie dans tous les sens du terme (244 puis 191). La prise de risque en terme de scénario et d’ambiance n’aura pas payé pour War for the Planet of the Apes (145/150) alors que le 1er (176/93) et 2ème (205/170) montraient un intérêt grandissant du public. De plus, ils performent bien à l’international, ce qui n’est pas pas le cas du dernier.
En 14ème, on retrouve The Mummy (80/125) qui réalise l’exploit de faire moins bien que La Momie de 1999 (155). Il est au-dessus de Dracula Untold (56/70), film sorti en 2014 qui devait déjà lancer le Dark Universe d’Universal. Au passage, 80 millions, c’est la moyenne de Tom Cruise qui réalise des entrées similaires avec Jack Reacher, Oblivion, Knight & Day ou Valkyrie. Mine de rien, depuis depuis 10 ans, si on met de côté Mission Impossible, l’acteur n’est plus vraiment bankable. Enfin, Alien Covenant (74/97) est 15ème et fait moins bien que Prometheus (126/130). Visiblement, les producteurs avaient anticipé le coup vu la baisse de budget...
Ce sera pour une autre fois
Je dois vous avouer que Baywatch (58/69) est un de mes coups de coeur de l’année, mais le film n’a pas marché et se retrouve loin derrière les autres sorties de Seth Gordon, que ce soient Identity Thief (134/35) ou Comment tuer son Boss (117/35). Pour The Rock, c’est pire qu’Hercules en 2014 (72/100) mais mieux que la comédie Pain and Gain en 2013 (49/26). De toute façon, le film est loin derrière 21 Jump Street (138/42), que l’on peut considérer comme une inspiration.
Du côté de Stephen King, The Dark Tower (49/60) s’est viandé après un développement chaotique et une sortie du même niveau. C’est bien simple, tout a été fait pour saborder ce film qui est tout de même 7ème au niveau des entrées pour les adaptations des oeuvres de King au cinéma. Du scénario à la communication, tout est à éviter… Un autre gadin est celui de Snatched (45/42) qui ne réitère pas le succès connu par l’humoriste Amy Schumer avec Trainwreck (110/35) en 2015.
On peut noter aussi les contre-performances de Logan Lucky (26/29) de Steven Soderbergh avec Daniel Craig et Channing Tatum, The House (25/40) avec Will Ferrell, Rough Night (22/20) avec Scarlett Johansson, Detroit (16/34) de Kathryn Bigelow (Démineurs) avec John Boyega et My Cousin Rachel (2,7) avec Rachel Weisz.
Les méga échecs
Pour finir, voici les films qui ont malheureusement dû bien faire mal aux personnes qui les ont soutenus. On le voyait venir de loin, il est reparti tout aussi fort : Transformers 5 (130/217) dernier de la saga, loin derrière le 4ème (245) et le 2ème (402). Avec le budget marketing qu’il s’est payé et les projets de faire un univers à la Marvel, bonne chance aux producteurs.
25ème de l’été, fermant presque la marche des blockbusters, un autre film qui a depuis le départ suscité de nombreux doutes. Valerian (40/177) n’aura pas été sauvé par la Chine. Comme annoncé, Lucy (126/40) fut un mirage pour Luc Besson qui n’a jamais été une star du box office américain ou mondial. Les entrées de Valerian sont similaires à The Family (36/30) pour un budget 5 fois moindre. Le pire, c’est qu’il rapporte moins que Le 5ème élément (63) en 1997. Avec tout le respect que l’on doit à un grand monsieur du cinéma français, il aurait probablement fallu prendre de vrais acteurs et choisir un scénario plus couillu.
Enfin, à ma grande peine, Le Roi Arthur (39/175) ferme la marche. Le film fait moins bien que Le Roi Arthur de 2004 (51/120), qui lui est largement inférieur. Cependant, si on regarde bien, hormis Robin Hood par Ridley Scott en 2010 (105/200), le genre médiéval n’a jamais rapporté beaucoup aux USA. Guy Ritchie enchaîne son deuxième échec après The Man from UNCLE (45/75) et et retrouve un niveau similaire à Snatch (30). De toute façon, ses films à cachet “britannique” ne marchent pas aux USA, hormis les deux Sherlock Holmes (209 et 186). Dommage.
La raison principale de cet essoufflement estival ? Probablement le déplacement des grosses sorties vers l’Hiver avec cette année La Belle et la Bête, Logan et Fast & Furious 8 en tête d’affiche.