Les japonais ne dominent plus le marché mondial du jeu vidéo comme dans les années 90. Ils voient même nombre de leurs développeurs abandonner les consoles classiques pour un marché plus juteux : les mobiles. Pazudora symbolise ce renouveau.
Encore récemment, on avait une image idyllique du jeu vidéo japonais, à mi-chemin entre séries pour hardcore gamers et titres trop loufoques pour sortir chez nous. Ça, c'était avant car le paysage vidéoludique a radicalement changé au Japon ces dernières années. Entre abandon des séries cultes (parfois sous-traitées à un studio occidental), baisse des ambitions des leaders, percée des jeux occidentaux, absence de la next-gen (la PS4 n'est même pas une priorité), fermeture de studios mythiques, etc... Bref, la situation peut même paraître désespérée ou désespérante, à vous de voir. Stratégiquement, Nintendo ne se presse pas pour sortir les nouveaux opus de ses séries phares et mise même désormais sur le jeu mobile. À l'inverse, Sony qui a longtemps investi ce marché (peut-être trop tôt), le quitte au profit d’innombrables remakes HD.
Le jeu PC étant toujours marginal, la X-Box inexistante et la PS3 encore ultra-dominante, le marché est encore et toujours dominé par les jeux mobiles. Jusqu'à lors chasse-gardée des Game Boy (actuellement la 3DS) et d'une Vita à la ludothèque plus que correcte au Japon, ce marché est désormais renversé par le tsunami smarthphone. Les japonais sont ultra-connectés, bien plus que nous, et on toujours eu cette tradition du jeu mobile. Il est donc logique de voir des développeurs chevronnés concurrencer les casuals Angry Birds et Candy Crush Saga. Avec Puzzle & Dragons, un jeu édité par GungHo Online, c'est tout simplement le geek, le gamer, l'otaku qui est ciblé.
UN PRINCIPE TOUT SIMPLE
Le free-to-play Puzzle & Dragons a été proposé en février 2012 au public japonais sur l'Apple Store. Dans Pazudora (le surnom de Puzzle & Dragons), l'objectif est de visiter des donjons pour les nettoyer et récupérer des trésors. Comme dans Pokémon, on possède un bestiaire de monstre qui se battent pour nous. Cependant, au lieu de choisir la technique employé par son personnage, on joue au puzzle pendant quelques secondes pour déterminer notre score d'attaque. Vous avez compris d'où viens le titre de ce jeu. Quand le décompte de l'ennemi arrive à son terme, il attaque. À nous de le vaincre au plus vite ou d'être assez puissant pour encaisser. C'est un véritable RPG simplifié mais ultra-addictif où l'on recherche à tout prix le combo. Le concept est ultra-simple et franchement pas révolutionnaire : le joueur doit faire bouger des orbes pour en aligner au minimum trois d'une même couleur. Suivant la couleur de cette orbe, un de ses personnages passe à l'attaque face aux monstres qui nous barrent la route.
C'est aussi vieux que le jeu-vidéo. De plus, à la différence de ses concurrents, là où le soft devient tactique, c'est qu'au lieu d'autoriser un seul déplacement par tour, on a le droit à quelques secondes pour librement déplacer l'orbe choisit sur le plateau. Cette liberté de mouvements sur la partie puzzle dans un temps impartie fait réfléchir le joueur. Rien ne nous oblige à réaliser un combo immédiatement. On peut privilégier un combo futur en anticipant le fait que l'ennemi doit par exemple attendre trois tours avant d'attaquer. Ces combos, associer à des pouvoirs liés aux personnages joués, va influencer l'attaque lancée. Forcément, plus vous avancez dans le jeu, plus vous devez constituer une équipe puissante. Vous cherchez donc avant tout à collectionner toujours plus de combattants. Là où ça se corse, c'est qu'on doit composer une équipe de cinq monstres avec divers statistiques et bonus.
Au départ, c'est très simple, mais la profondeur des associations se révèle au fil des heures de jeu et de l'adversité. On cherche la parfaite synergie et on monte en niveau chacun de ses combattants. Il existe plus de 2000 monstres et les développeurs ont pioché dans tous les univers et influences à leur portée sans parler des collaborations avec des licences ultra-médiatiques. Une équipe formée d'un dieu, d'un chevalier, d'un dragon, de Superman et de Mario est donc théoriquement possible aujourd'hui. La soif de la collection est omniprésente et s'associe au coté addictif du puzzle. Pour obtenir de nouveaux monstres (surtout ceux que l'on recherche pour parfaire son équipe), il existe une machine à sous (vous me voyez venir avec l'addiction du Pachinko des japonais). Les développeurs inondent les joueurs d'activités quotidiennes, avec des événements, des gains et autres nouveaux monstres pour conserver leur attention. Par exemple, l'existence de donjon limité dans le temps et d'une rejouabilité extrême pousse les joueurs à se connecter chaque jour dans l'espoir de débloquer un contenu inédit. La frustration qui pousse au paiement est remplacée par l'addiction.
Il faut bien sûr débourser de l'argent pour avancer plus vite (0,99$ la pierre hors offre de groupe), mais avec une solide planification de ses connections, on peut optimiser sa collecte de monstre. Il faut ensuite les utiliser telles des matières premières en les fusionnant pour se rapprocher de monstres plus rares. Une étude en 2013 montrait que 60% des joueurs japonais se connectaient chaque jour, et que 35,9% des joueurs avait déjà payé pour se donner une chance d'obtenir l'objet de leurs désirs. Si on compare cela au 4% des Candy Crush, on comprend pourquoi Puzzle & Dragons est LE phénomène des deux dernières années malgré une visibilité moindre en Occident.
DES CHIFFRES HALLUCINANTS
En 2013, GungHo Online a fait plus de fric que les divisions jeu vidéo de Capcom, Square Enix, Namco Bandai, Konami et Sega réunis. Ça vous calme direct ! On était à 41 millions de téléchargements pour cette application mobile début 2015, avec 32 millions rien qu'au Japon (pour un pays de 127 millions d'habitants). Aux USA, c'est 6 millions téléchargements en 6 mois. Sinon, GungHo Online dépasse la valorisation de Nintendo en bourse. Puzzle & Dragons est aussi le premier jeu mobile a dépassé le milliard de dollars de recettes, avec 650 millions pour l'App Store et 775 millions pour le Google Play en 2014. Vous voulez d'autres chiffres ? Juste entre avril et juin 2013, au plus fort de la folie au Japon, 3,5 millions d'euros étaient dépensés chaque jour sur ce jeu ! Avec un bénéfice net quotidien de 1,3 millions d'euros pour l'éditeur, ça fait rêver ! En face, l'ogre occidentale Candy Crush ne rapportait que 651 000 euros par jour. Pour rappel, le Japon est ultra-connecté et c'est le marché qui dépense le plus sur mobile avec 12,2 milliards de dollars d'achats sur cette plate-forme en 2013, ce qui est supérieur au marché américain qui est trois fois plus gros.
Pazudora est aussi le second jeu le plus rentable en 2014 dans le monde après Clash of Clans et devant Candy Crush. Il n'est pas dans le top 100 des téléchargements des applications à l'inverse des deux autres qui sont premier ou dans le top 10, ce qui montre son incroyable rentabilité avec environ 3 euros dépensés par joueur par jour ! Le phénomène est appuyé par des collaborations prestigieuses : DC Comics, Ken le Survivant, Evangelion, Final Fantasy, Mario... En parlant de Nintendo, le roi du jeu mobile dans l'ère pré-smartphone, une version 3DS payante a été produite et s'est installée à la première place des ventes de jeux au Japon, devant même Xenoblade Chronicles X. Ne soyons pas naïfs, ce succès s'est appuyé sur une incroyable campagne de communication, comme Candy Crush chez nous. Le jeu a mis deux mois pour atteindre 500 000 téléchargements, puis trois de plus pour le million. Il faut encore attendre quelques mois avant que la mode ne prenne réellement en 2012. Là où Candy Crush est moqué par les gamers, Puzzle & Dragons fait appel à des mécanismes bien connus. Le phénomène est tel qu'une conférence live sur le web en 2014 est suivie par un million de connections ! Vous l'avez compris, la marge de progression est encore énorme pour ce jeu, en Europe notamment, mais c'est au Japon qu'il va devoir conserver son statut pour ne pas connaître le sort d'une société comme Zynga par exemple.
Le jeu est disponible en France uniquement sur iOS. Essayez-le à vos risques et périls ! Quant à son éditeur, il fait face à un incroyable défi souvent perdu par les jeux de ce type : pérennisez cette licence sur le long-terme en se renouvelant sans trop épuiser le filon. Les partenariats offrent des bouffées d'air frais, mais avec 91% des revenus de GungHo Online tiré de ce jeu, il va falloir vite trouver son remplaçant. Jamais chose facile tant ces modes sont souvent impossible à prédire.