La Seconde Guerre Mondiale a profondément bouleversé l’Humanité et inspire encore de nos jours abondamment les auteurs. Quand un Japonais raconte les aventures d’espions nippons lors de ce conflit, on peut s’attendre au pire, mais avec Joker Game, c’est tout le contraire.
Encore aujourd’hui, le Japon se démarque des autres pays dans sa lecture de l'Histoire. En effet, une partie de cette nation ne s’est jamais vraiment remise de la défaite lors de la Seconde Guerre Mondiale. Si la tutelle américaine a disparu pour laisser place à une protection militaire, le pays ne peut toujours pas former d’armée et ses forces d’auto-défense ne font pas le poids face au belliqueux voisin chinois. Il y a une raison à cette limitation des forces nipponnes. Une part non négligeable du pays n’a toujours pas digéré les actes de cette époque, qu’ils soient subis (la bombe nucléaire) ou commis par ses forces militaires. Ainsi, chaque année, le Premier Ministre actuel provoque les pacifistes en rendant hommage à des criminels de guerre.
Là où les Allemands ont rejeté l’horreur nazie pour ne plus la reproduire, il existe une faction au Japon qui ne désire que le retour de la puissance impériale et de son impunité. Il faut aussi rappeler que la guerre menée par le Japon à l’époque débute bien avant les conflits européens, avec des actions dans tout le Pacifique et surtout en Chine. Voir débarquer un animé sur cette période de l’Histoire était donc intriguant. Entre avril et juin 2016, le célèbre studio Production I.G a diffusé sur de nombreuses chaînes japonaises Joker Game, l’histoire d’une division d’espions japonais, secrète au sein même de l’armée, ayant pour objectif de récolter des informations sur les autres pays. Logiquement, on aurait pu craindre que le courant négationniste de l’Histoire n’ait une influence sur l’intrigue. Toutefois, le scénario ne se gêne pas pour dénoncer les nombreux crimes de l'époque et proposer une autre vision des combattants japonais, plus nuancée.
La nouvelle production d’un studio reputé
Production I.G, c’est une tripotée d’animes cultes, marquants ou ayant passionné les otakus : Ghost in the Shell, Blood +, xxxHoLic, Sengoku Basara, Eden of The East, Psycho-Pass, l’Attaque des Titans… Le studio est aussi bien capable de nous sortir ses propres créations que de produire des adaptations d’œuvres venues d’autres médias. Le choix d’un drame historique est toujours délicat, entre fidélité et besoin de raconter sa propre intrigue. Le studio a donc rassemblé une équipe mixte, entre expérience et promotion d’artistes.
Pour la réalisation, c’est l’animateur Kazuya Nomura qui officie. Il a dirigé plusieurs épisodes de séries du studio, notamment sur Sengoku Basara, mais on lui doit surtout la réalisation du dernier film Ghost in The Shell sorti en 2015. C’est donc une des figures montantes de Production I.G, à qui on a associé Taku Kishimoto. On lui doit l’écriture du scénario d’Eden of The East, la sensation 2008 de la case noitaminA, produite bien sûr par Production I.G. Cette œuvre est une création de Kenji Kamiyama, et Kishimoto s’est occupé d’adapter son idée pour le format animé. Le scénariste a aussi pondu le scénario de l’adaptation de Haikyuu!! et celui de Prince of Stride : Alternative.
Kenji Kawai s’occupe de la musique et Yoshikazu Iwanami du son. Quant au design des personnages, la tâche revient à Shirow Miwa, à qui l’on doit la sympathique série manga Dogs et sa suite : Dogs : Bullets & Carnage. 12 épisodes de Joker Game ont été produits pour une diffusion sur plusieurs chaînes : AT-X, Tokyo MX, MBS…. Il faut y inclure les deux Blu-Ray et on est bon. Ah, non, je ne vous ai pas parlé du roman.
Une œuvre surprenante
En 2011, Koji Yanagi publie le recueil de nouvelles Joker Game, une compilation d’histoires courtes sur la D Agency, une division de l’armée ultra-secrète qui surveille les activités des pays étrangers. Quatre volumes sont aujourd'hui disponibles : Joker Game, Double Joker, Paradise Lost et Last Waltz, sorti l’an passé. Chacun contient 3 à 6 histoires, soit autant de missions effectuées par les membres de cette agence, que ce soit au Japon ou à l’étranger. Pour cette œuvre, l’auteur a remporté le Mystery Writers of Japan Award en 2009. Joker Game a aussi connu une adaptation en film live et un manga adaptant l’animé est en cours de publication depuis février. Cependant, c’est vraiment l’animé qui a permis de faire connaître cette œuvre au-delà de ses frontières.
Yanagi, né en 1967, publie ses écrits depuis 2001. L’auteur n’est pas un enfant de l’après-guerre mais de la période marquée par l’arrivée à l’âge adulte des ces enfants désœuvrés ayant grandi dans un Japon en ruine. On pourrait penser qu’il a été influencé par cette pensée cherchant à rétablir l’honneur et le prestige de la nation, mais c’est tout le contraire : Yanagi a proposé une vision très critique des actes commis par son pays pendant la Seconde Guerre Mondiale. Cela transpire dans le caractère de ses personnages, leurs actions et leur comportement en mission.
À l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, alors que la diplomatie européenne se fracasse sur les intentions belliqueuses d’Hitler, le Japon est déjà en action en Chine. La D Agency, création de l’auteur, est formée pour contrôler les actes des espions étrangers, mais aussi pour découvrir des secrets économiques et militaires. Le Japon ne s'est fait aucune illusion, la guerre va embraser le monde et il doit se préparer au mieux. Le mystérieux Lieutenant Colonel Yuuki a donc recruté 8 agents parmi la fine fleur de la jeunesse japonaise. Épreuves physiques et écrites, enseignement exigeant et maîtrise de l’art de l’espionnage sont au programme de cette formation express.
Une autre vision des événements
Dès le départ, l’histoire se joue des militaires, pour certains rivaux de cette organisation, qui ne savent pas d'où sort ce Yuuki. Si chaque épisode est indépendant, suivant une mission en particulier quelque part dans le monde ou au Japon, permettant de faire le tour des conflits et enjeux, les deux premiers forment une histoire unique qui sert d'introduction. On y suit l’affectation d’un militaire en tant qu’agent de liaison avec la D Agency, l’occasion pour son directeur et ses agents de lui enseigner une leçon d’espionnage et lui montrer leurs capacités à duper tout le monde, y compris des Japonais. Il y a même une agence rivale qui tente de surpasser la D Agency, à ses dépends, car son dirigeant a toujours plusieurs coups d'avance.
Ce sont des manipulateurs hors pair qui ont une seule règle : ne pas tuer, ne pas se faire tuer et ne pas se faire attraper. Cela s’oppose immédiatement à la philosophie en vigueur dans l’armée à l’époque, celle du sacrifice du samouraï, parfaitement représentée dans les attaques kamikazes des avions. Ces espions ne sont pas là pour mourir mais rapporter des infos cruciales. Se faisant, ils vont à l'occasion s’opposer aux atrocités commises par leur propre armée. Dévoiler un traître, un corrompu ou un tortionnaire a un réel intérêt car cela entrave l’action de l’armée, et donc les objectifs des personnages qui défendent le Japon.
Joker Game est un animé de qualité, aussi bien au niveau de l’animation que de l’écriture. On prend plaisir à découvrir les enjeux secouant chaque pays visité, que cela soit au Japon, en France ou en Chine. Le seul véritable défaut à mes yeux de cette oeuvre, c’est que les agents de l’organisation se ressemblent tous. Cela est voulu, les espions devant avoir des visages « génériques » pour passer inaperçu, et leur personnalité est niée pour laisser place à un esprit méthodique ne cherchant qu'à remplir sa mission. Résultat, j'ai eu du mal à m’attacher à chaque membre, ne pouvant les reconnaître, mais cela n’est pas dérangeant car on se passionne plus pour la situation, souvent désespérée, ou l'enquête en elle-même. En fil rouge, il y a bien un petit mystère global sur l’identité réelle du directeur de l’agence, mais au final, on dévore chaque épisode qui possède sa propre conclusion. Les amateurs d’Histoire seront donc ravis et auront accès à une autre vision de ce terrible conflit.
Si vous recherchez un anime court, rythmé et proposant des épisodes presque indépendants, qui plus est parlant d’Histoire et d’espionnage, vous l’aurez compris, Joker Game est fait pour vous. Si son visionnage n’est pas indispensable, l’œuvre ne révolutionnant pas le genre, vous passerez à côté d’une production maitrisée et plaisante, ce qui est déjà une bonne chose de nos jours, non ?