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La Mélodie de Jenny ou la laideur de la guerre

Par temps de guerre, la vie est souvent injuste et cruelle. Nous le découvrons au travers du regard de Tsukasa Hôjô.

Si l'on évoque le nom de Tsukasa Hôjô beaucoup diront que c'est le papa du manga City Hunter. Vous savez, Ryô Saeba le justicier de la ville de Tokyo, garde du corps, tueur à gage et séducteur impénitent à ses heures, assisté de la belle Kaori qui lui pilonne le crâne à coup de massue quand il ne garde pas ses idées lubriques, voire son outil, dans sa poche. Si le mangaka a su nous faire sourire au travers de la relation conflictuelle de ses deux protagonistes, il a su aussi créer des oeuvres plus sombres et mélancoliques.

La Mélodie de Jenny fait partie d’une trilogie de recueils d’histoires de Tsukasa Hôjô, parus pour la première fois en France en 1995 chez Tonkam. Il a été depuis retraduit et réédité en 2013 chez Ki-oon. Si les deux autres volumes se rapprochent de l’univers habituel de l’auteur, ce volume-ci tranche vraiment de par son thème : la deuxième guerre mondiale et les conditions de vie des Japonais à cette époque.

Aux frontières du ciel, les kamikazes à l’honneur

Dans cette histoire, nous découvrons Shôhei et Junpei, deux frères qui se sont engagés dans l’armée de l’air pour accomplir ce que leur père malade est incapable de faire : défendre leur pays et sa gloire dans ces temps troublés. Junpei, le plus jeune, est choisi pour faire partie d’un commando suicide et se voit contraint d’accomplir son devoir. On peut voir dans cette histoire l’avènement de ceux que l’on connaîtra plus tard comme les kamikazes, ces hommes qui se sacrifiaient au nom de leur pays pour s’écraser contre les porte-avions ennemis.

Le nom kamikaze, qui se prononce en japonais kamikazé, vient de l’Histoire japonaise. Au XIIIème siècle, lors de deux attaques maritimes des Mongols de Kubilaï, petit-fils de Gengis Khan, les Japonais ont prié leurs dieux de les aider et ces deux fois, un typhon s’est miraculeusement levé pour mettre l’armée en déroute et les sauver de l'envahisseur. Ces vents salutaires ont donc été baptisés kamikaze, Vents Divins. C’est sur cette base historique fondée sur le patriotisme des Japonais d’alors que le mythe des pilotes suicidaires a été construit. Ils devaient à nouveau sauver le Japon de l’envahisseur.

Cette histoire montre à quel point les Japonais étaient patriotes, prêts à se sacrifier pour leur pays, laissant derrière eux leur famille pour accomplir leur funeste devoir, même s’ils avaient le coeur lourd, très lourd. De jeunes hommes à peine sortis de l’enfance ont gâché leur vie afin de tenter de faire la différence dans cette guerre. Et ce, pour seul résultat de la perdre peu de temps après. Tant de vies gâchées...

La Mélodie de Jenny, dépasser les préjugés

Nous sommes en été de l’année 1945, la guerre est sur le point de se terminer. Le mangaka nous conte l’histoire d’enfants envoyés dans des centres d’éducation, loin des grandes villes, afin de sauver la jeune génération des bombardements à répétition. Mais sous le voile de la propagande, où l’on voyait des enfants heureux et en bonne santé, la vérité était toute autre. Affamés, exploités, parfois même battus, ces enfants menaient une vie très dure. C’est pourquoi Takashi, sa soeur Kazuko, Udo et Shôichi ont décidé de s’enfuir pour retrouver leurs mères respectives. Ils rencontreront un homme nommé Dave, qui leur fera d’abord une peur bleue, comme la couleur de ses yeux. Malgré leurs réticences, ils décideront de rejoindre Tokyo avec l'Américain, car Dave doit y retrouver sa femme et sa fille, Jenny.

Au début, la cohabitation est un peu compliquée. Mais Dave, qui s'est taillé une flûte en bambou, leur interprète un air qui les enchante : la Mélodie de Jenny, cadeau pour sa fille. Puis Dave a un accident, il ne peut plus jouer de son instrument et c’est Takashi qui se propose d’apprendre cette mélodie pour l’interpréter à la place de l’Américain.

Dans cette période douloureuse, une bulle de bonheur et d’insouciance se créé, leur faisant oublier, le temps d’un périple, la dureté de la réalité. Les enfants découvriront que l’ennemi ne compte pas que des êtres diaboliques dans ses rangs et que l’armée japonaise, qui bafoue les droits des prisonniers, n’est pas si innocente qu’ils se l’imaginent. Ces enfants, si sûrs de la suprématie de leur pays, vont voir leur vision s'élargir en côtoyant cet homme paisible et affectueux qui ne cherche qu’une chose : retrouver sa famille.

Tout dans cette histoire nous transporte avec ce petit groupe bien disparate, nous gonfle le coeur d’espoir pour nous replonger plus durement encore dans les affres de cette guerre honnie et stérile. Elle nous montre aussi la dureté de la vie en ces temps de guerre, tant pour les autochtones que pour les prisonniers. Je vous garantis que vous ne pourrez pas rester insensibles face à cette histoire qui est de loin ma préférée des trois recueils réunis.

Le Rêve Américain

Là, nous nous plongeons dans l’histoire américaine. Nous sommes en 1935, le Japon a attaqué la Chine, et les USA voient d’un mauvais oeil les désirs d’expansion du Pays du Soleil Levant. La guerre n’est pas loin. C’est là qu’une équipe japonaise de baseball vient faire une tournée de 6 mois sur le territoire. Johnny, un sélectionneur, Sam, un journaliste et , une immigrante japonaise qui leur sert de traductrice, assistent au premier match des Nippons. Ils y découvrent Hideo Murakawa, un lanceur d’exception. Les relations USA-Japon étant ce qu’elles sont, les Japonais jouent sous les quolibets américains. Mais il s’avère que le lanceur est excellent et il recueille l’admiration des deux factions.

Johnny le veut dans son équipe et le contacte pour l’engager. Malheureusement, la situation étant plus que tendue, rien n’est simple. Face au durcissement du traitement des Japonais sur le territoire américain, les choses ne se passent pas comme les quatre protagonistes l’auraient souhaité.

Ici, Hôjô décrit comment vivaient les immigrés Japonais sur le territoire de leurs futurs ennemis et le climat engendré par les décisions guerrières de leur patrie d’origine. Ils sont considérés avec méfiance, testés en permanence pour voir où va leur loyauté, voire même harcelés et molestés. Chaque relation en devient donc compliquée, car il faut obligatoirement choisir un camp.  D'ailleurs, plus tard, lorsque le conflit a vraiment éclaté, les Japonais du territoire américain se sont vus confinés dans des camps, privés de leurs possessions et de leurs droits.

Un thème et des histoires aux accents dramatiques

Même si une touche d’espoir ne peut s’empêcher de se faufiler entre les gouttes de désespoir que distille l'oeuvre, comme je le disais plus haut et tout le long de mes explications, ce recueil n’a rien de bien joyeux et nous décrit plus les drames et les malheurs qui découlent de la guerre. Il nous montre qu’elle n’est pas tendre avec les hommes qui s’affrontent, ni avec les civils qui ne font que subir et se priver lors de ces périodes troublées. Et pour les lecteurs peu renseignés sur ce qu'il s'est passé du côté des alliés d'Hitler de l'époque, il est intéressant de voir quelle était la situation là bas pendant le conflit.

Ce recueil est poignant, émouvant et nous fait faire un bon dans ces temps peu reluisants où la guerre avait gagné une bonne partie du monde. Tsukasa Hôjô nous fait réfléchir sur les conflits et leur vanité. Mais c’est une chose qui, malheureusement ne disparaîtra pas de sitôt. Car comme le dit si bien Dave “Tant que les hommes ne feront pas d’efforts pour mieux se comprendre, il y aura toujours des conflits” (La Mélodie de Jenny, Trad Ryoko Akiyama).


Si vous avez envie de découvrir Tsukasa Hôjô sous un autre angle que celui de ses histoires habituelles, au côté sexy certain, je vous conseille de vous procurer ce recueil. Il ne vous laissera pas indifférents et saura sans doute même vous tirer quelques larmes.

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