Le détective anglais le plus célèbre du monde n’est pas tout seul à mener l’enquête…
Les quatre de Baker Street est une série de bande dessinée française de Jean-Blaise Dijan et Olivier Legrand au scénario et David Etien au dessin. Publiée par la maison d’édition Vents d’Ouest, elle compte actuellement sept tomes et met en scène ce qu’on appelle les francs-tireurs, ces gamins des rues que Sherlock Holmes utilisait pour ses différentes filatures. On les retrouve à plusieurs reprises dans différentes aventures du célèbre détective et cette bande dessinée est la première à en faire des héros.
On y suit Billy, Black Tom et Charlie, un trio de gamins des rues accompagné du chat Watson travaillant pour Sherlock Holmes. Ils filent les cibles du détective pour obtenir des informations sur eux. Si ce dernier tient une place secondaire dans les premiers tomes, l’implication progressive de nos héros dans des affaires dangereuses va obliger Sherlock Holmes à se montrer. Les 4 premiers tomes présentent chacun une histoire complète alors que les 3 derniers dévoilent un scénario sous forme de trilogie.
La vie sur un fil
Les quatre de Baker Street nous plonge dans le Londres de la fin du 19ème siècle. Sherlock Holmes mène ses enquêtes grâce à un groupe d’orphelins qu’il chapeaute pour les filatures. Cependant, bosser pour le plus grand détective d’Angleterre n’est pas chose aisée et notre trio fourre assez vite son nez dans des affaires bien plus dangereuses que prévues. En effet, Billy, que l’on pourrait assimiler à un mini-Sherlock, et qui est d’ailleurs le seul de la bande à savoir lire et écrire - chose rare pour les pauvres à l’époque - s’y lance très vite à corps perdu en jouant les super-héros.
Ainsi, les situations, d’abord assez épiques, presque humoristiques, notamment la bagarre sur un lac gelé, tendent à devenir de plus en plus risquées. Nos francs-tireurs s’attirent en effet les foudres du pire ennemi de Sherlock: le Professeur Moriarty. Autant dire que nos héros traversent des épreuves difficiles et brisent ainsi leur simple rôle de filature, ce qui provoque la colère du Docteur Watson. Mais après tout, Billy, Black Tom et Charlie n’ont rien à perdre: orphelins ou presque, Sherlock Holmes leur donne la possibilité d’être des véritables héros.
L’innocence foudroyée
La série n’épargne pas les drames des enfants de rues, souvent orphelins et aux prises avec les brigands. En effet, les gangs de rue se servent aussi des enfants pour soutirer de nombreuses informations ou tout simplement pour piéger de malheureuses personnes. Et à cette époque, les guerres de gangs opposent régulièrement les Anglais et les Irlandais dans un contexte sociétal difficile. Black Tom est d’ailleurs tiraillé entre les deux camps à cause de ses origines. Il rejoindra en outre sa “famille” pendant un court laps de temps, retrouvant une vie de larcin avant de retourner vers ses camarades.
Pour autant, l’une des scènes les plus marquantes et celle où l’on apprend que la mère de Charlie est internée dans un hôpital psychiatrique. La visite quelques tomes plus tard est d’une incroyable horreur. On se rend assez vite compte que l’innocence est foudroyée d’un seul coup et que ces enfants grandissent bien plus vite qu’ils ne le devraient. Cependant, les auteurs ne franchissent jamais les limites, à savoir qu’ils ne deviendront jamais des meurtriers.
Être une fille quand on est une gosse des rues
A cette époque, être une fille est loin d’être rose. Elles finissent souvent dans des maisons closes et les plus jeunes sont également envoyées dans des pensionnats catholiques où elles sont maltraitées. Charlie y fait d’ailleurs un court séjour lorsque la bande est temporairement dissoute. Elle y découvre alors un milieu horrible où règne la loi du plus fort. Ou plutôt des plus fortes.
Le fait que Charlie se cache derrière des habits de garçon prouve aussi la difficulté d’assumer ce qu’on est même si la tromperie est très vite reconnue par les personnages - sauf Billy et sa naïveté. Pour autant, si la jeune fille dissimule ce physique, c’est plus pour paraître plus forte que par simple refus de sa féminité. Elle se permet donc d’être tout aussi courageuse, voire plus, que ses compagnons et de savoir tempérer pour éviter les querelles.
Cette réalité de l’époque pour les filles est cependant contrebalancée par des personnages féminins forts comme Katia, une jeune aristocrate russe qui se liera d’amitié avec nos héros pour sauver son mari, au centre d’un complot impliquant la Russie. Enclavées dans leur rôle de potiches, les femmes de la haute noblesse ont autant de mal à faire valoir leur intelligence et leur courage tout autant que celles des rues sont trop souvent condamnées dans la misère et l'esclavage sexuel.
Reconstitution historique et contexte sociétal
Les quatre de Baker Street propose un univers réaliste jusqu’à des détails assez crus, entre les maisons closes et leur commerce pour récupérer de pauvres filles livrées à elle-même et les complots en tout genre qui se trament aussi bien dans les bas-fonds de Londres que dans la haute société. Les enfants sont condamnés à errer en commettant des délits comme les vols à l’étalage ou même des cambriolages pour voler aux riches leurs objets de valeur.
C’est ce réalisme dans la reconstitution historique qui permet aux lecteurs de s’attacher aux personnages, notamment à notre groupe de héros. On est autant fasciné que parfois triste pour eux dans certaines situations. Cependant, les auteurs n’évitent pas quelques clichés comme celui de l’homme de haut rang qui tombe amoureux de la fille d’un dirigeant d’un cabaret de foire. On y retrouve alors l’habituelle bataille entre nobles et pauvres et l’acceptation d’autrui.
Néanmoins, la série ne néglige pas sa portée historique avec le conflit social opposant Londoniens et Irlandais et des conséquences d’une xénophobie parfois virulente, notamment lors d’une descente de police particulièrement violente. Le parti-pris des auteurs, en partie parce que l’un des héros est Irlandais est subtilement mené par le scénario.
Des héros qui se complètent pour un trio mémorable
Si la série séduit, ce n’est pas seulement pour son contexte social crédible mais surtout pour ses héros. Black Tom, Billy et Charlie forment un trio exceptionnel et d’une rare intelligence. Loin de s’enfoncer dans des gags classiques ou des personnages trop stéréotypés, chacun possède une personnalité bien à eux et des développements plutôt cohérents. Black Tom, par exemple, joue les casse-cous et par ailleurs aussi les gros durs en utilisant ses poings plutôt que les beaux discours. Il est évidemment en totale concurrence avec Billy, moins adepte de la violence et privilégiant de belles paroles.
Pour autant, ils restent tous les trois des ados de l’époque, avec leurs propres démons et problèmes. Charlie, comme nous l’avons déjà évoqué, doit faire face à son genre et s’imposer auprès de ses deux compagnons non pas comme une simple nana mais réellement une personne à part entière. Ce qui n’empêche pas Back Tom de remarquer assez vite que Charlie se travestit, allant jusqu’à la complimenter lorsque celle-ci revêt des vêtements féminins afin d’assurer son relatif anonymat.
Il n’y a que Billy qui reste le plus effacé, du moins par rapport à son caractère. Catalogué comme le cerveau de la bande, il souffre par ailleurs de cette différence, tout autant qu’à cette époque, les enfants des rues ne vont pas ou très peu à l’école. C’est ce qui le pousse d'autant plus à idéaliser Sherlock Holmes et de vouloir mener l’enquête aussi bien que lui. Il est également le moins émotif de la bande, gérant assez brillamment les situations délicates.
Une série brillante pour toute la famille
Malgré les aspects parfois crus, Les quatre de Baker Street est une série pour toute la famille avec ses moments d’humour et des scènes d’action qui plairont aux plus jeunes mais aussi les adolescents et jeunes adultes qui bénéficient d’une seconde lecture plus mature. Les adultes peuvent aussi apprécier ce mythe autour de Sherlock Holmes plaçant le personnage plus en retrait en le rendant aussi plus humain.
En cela, Les quatre de Baker Street est une série complète qui réussit brillamment à installer une ambiance assez sombre et mature tout en n’oubliant pas de raconter une histoire simple et pleine de rebondissements. On est autant amusé que parfois un peu effrayé par les évènements même si on sait nous, lecteurs, que nos héros sont intouchables.
Les quatre de Baker Street est une série de bande dessinée exploitant habilement de nombreux thèmes pour donner lieu à une histoire palpitante soutenue par des héros attachants.