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Park Chan-Wook, prodige du cinéma coréen

Avec la récente sortie de Mademoiselle, difficile de passer à côté du réalisateur coréen Park Chan-Wook, tant son dernier métrage a reçu d'élogieuses critiques de la presse cinéma. Revenons donc sur son parcours.

Né à Séoul le 23 août 1963, le petit Chan-Wook grandit dans une famille croyante et y reçoit une éducation catholique, fait rare dans son pays pour être soulevé. Il partira étudier la philosophie à l'université de Sogang, mais en restera déçu, car n'a pas pu y suivre des cours d'esthétique.

Développant réellement son intérêt pour le cinéma après le visionnage de Sueurs Froides de Hitchcock, il décidera de fonder son propre club de cinéphiles, le Club Movie Gang. Pour attirer d'autres étudiants comme lui, il se servira de la liste des lecteurs de revues cinématographiques de la bibliothèque universitaire. Futé le garçon. Ce sera notamment à partir de ce moment qu'il commencera à cultiver sa cinéphilie en fréquentant régulièrement les cercles cinéphiles, ainsi que les cinémathèques où il pourra découvrir des perles du cinéma international jusque-là jamais diffusé sur le petit écran sud-coréen. Plusieurs auteurs viendront marquer le futur réalisateur, explorant le plus possible le travail d’Hitchcock ou encore de Polanski (Carnage).

À partir de 1988, Park Chan-Wook débutera dans le milieu du cinéma en se trouvant divers petits job dans le secteur et deviendra par la suite l'assistant de Kwak Jae-Yong (My Sassy Girl). Après, son premier film, sorti en 1992, qui se révélera être un joli fiasco, tant auprès de la critique qu'au box office, il quittera pour un moment la réalisation pour revenir à l'écriture en publiant plusieurs critiques et essais dont le plus célèbre reste Discret Charm Of Watching Movies (référence non cachée à Luis Buñuel, réalisateur espagnol surréaliste à qui l’on doit Un Chien Andalou) sorti en 1994.

Park Chan-Wook a aussi un frère, Park Chan-Kyong, lui aussi réalisateur avec lequel il collaborera pour des courts métrages comme Day Trip. Sinon, il est aussi membre de l'Academy of Motion Picture Arts and Sciences (AMPAS) depuis 2016.

Voilà donc pour le parcours du monsieur, sa vie privée, maintenant, passons à ce qui nous intéresse réellement, c'est à dire son parcours en tant que réalisateur de films plus fous les uns que les autres.

Des débuts difficiles

Si, aujourd'hui, chacun des films de Chan-Wook reçoit un certain accueil, que ce soit en salles ou auprès des critiques, ce ne fut clairement pas le cas lors de ses deux premiers essais.

The Moon is The Sun's Dreams (1992) est la première tentative cinématographique du metteur en scène. Nous envoyant tout droit dans ce qu'il définit comme un drame urbain, le métrage nous propose de suivre un photographe dont le petit frère a volé quelques pécules à son patron avant de s'enfuir avec la copine de ce dernier. Forcément, le plan est pas super malin. Du coup, le grand méchant décide de le retrouver et venir lui mettre la misère. On déconne pas avec l'honneur des mafieux. L'univers artistique et les constantes dans l'exercice de son art se dessinent déjà dans ce film, avec notamment de grands mouvements de caméra qui, par la suite, seront reconnus comme l'un des piliers de son style, ainsi que le ton qu'il utilise.

Ok, les bases de son cinéma sont déjà repérables, mais le film échoue à plusieurs niveaux, sans doute à cause d'un budget trop serré, ou d'un manque d'expérience, si ce n'est les deux. Les personnages sont encore trop stéréotypés, chose qui disparaîtra après, et le score n'est guère au niveau des émotions qu'il veut transmettre, encore trop bancal et légèrement trop prévisible. Résultat, le film est un véritable échec commercial, Chan-Wook quittera le cinéma pour un moment suite à cette déception.

Il n'est cependant pas du genre à abandonner aussi facilement et reviendra dès 1997 sur les grands écrans sud-coréens avec Trio (3 members). Il aura donc fallu 4 ans pour revoir le Vengeur (petit surnom que lui ont attribué les amateurs de son cinéma) revenir sur le devant de la scène, 4 longues années qui lui auront permis de reprendre confiance en son art pour enfin accoucher d'une comédie dans laquelle un saxophoniste et un délinquant s'associent pour monter un braquage dans un café. Ce n'est pas tout, une fois sur place, l'une des serveuses leur demandera de l'aider à rechercher son enfant disparu. Un pitch comprenant donc déjà un retournement de situation qu'affectionne tant Chan-Wook, mais le film se révélera encore un échec sur le plan financier.

Le film est en effet encore un peu faible, malgré une thématique centrale sur la foi assez intéressante. La mise en scène ultra référencée par des inserts de poster est trop grossière si ce n'est forcée, bien que certains plans soient déjà bien travaillés et assez originaux pour être soulevés. Courage, Park Chan-Wook, le succès sera bientôt à toi !

Aux portes du succès

Après ses deux tentatives sans rencontrer le succès, Chan-Wook se relance en 1999 avec un court métrage intitulé Jugdement lui permettant de consolider ses bases et d'explorer sa capacité à faire mouche avec de l'humour noir. Le réalisateur coréen se lance dans un nouveau projet, Joint Security Area (JSA) en 2000. Si son métrage est une adaptation du roman DMZ de Park Sang-Yun, il n'en garde que très peu du contenu d'origine, pour au final nous narrer l'histoire de deux militaires coréens assassinés sur le pont de non-retour à la frontière de la Corée du Nord et du Sud. Deux hauts gradés mènent alors l'enquête pour résoudre le mystère qui entoure cette affaire.

Sorti après le début de la détente entre les deux Corée (marqué par la rencontre entre le président Kim Dae-Jun et Kim Jong-Il le 13 juin 2000 pour la petite histoire), le film sera un énorme succès au box office coréen avec 6 millions d'entrées en Corée du Sud durant son exploitation, ce qui lui permettra d'être la plus grosse sortie de l'année dans son pays.

Alors que la vision de la Corée du Nord a toujours été faite par tout un tas de propagandes, Park Chan-Wook a l'intelligence de construire des personnages nord-coréens non manichéens comme pouvaient les décrire quasiment tous les médias à l'époque et encore aujourd'hui. Ces individus ne sont finalement que les victimes d'un conflit bien plus grand qu'eux et ne peuvent donc être réduits à l'état de simples idiots, résultat du régime dictatorial nord-coréen.

Par le biais d'une narration éclatée et d'un talent pour le formalisme, JSA est avant tout une tragédie au sens grec du terme, plutôt qu'un simple thriller asiatique. Tous les personnages sont humanisés pour que le spectateur ne puisse résoudre facilement l'enquête qui se déroule devant ses yeux, se prenne d'affection pour eux, qu'ils soient du Nord ou du Sud, et entre dans un récit plein d'empathie pour ces individus.

Le formalisme de Park Chan-Wook commence à se dévoiler dans ce film, bien que son esthétique soit assez sobre, il use de gros plans fixes, de quelques mouvements de caméra et parsème son œuvre de rares scènes d'action tout en intensité. Les plans sur la ligne de démarcation entre les deux frontières sont forts en symbole, et surtout ultra réalistes, bien qu'il n'ait pu filmer sur le lieu réel, tout est documenté pour rendre la situation la plus crédible et instaurer une tension à chaque regard entre les militaires des deux côtés.

C’est sans doute le film le plus politique de sa carrière quand on sait à quel point le sujet est difficile dans son pays natal, il nous offre une vision éclairée de la situation actuelle. Une vraie réussite qui se verra décerner plusieurs prix dont le meilleur film et meilleur réalisateur au festival asiatique de Deauville ou encore le prix spécial du jury au festival international du film de Seattle.

Le formalisme de la vengeance

Alors que la première mouture de son script avait été refusée, le succès de JSA permet à Park Chan-Wook de mener son projet à bien et de débuter sa trilogie de la vengeance. Le premier opus, Sympathy For Mr Vengeance offre aux spectateurs l'occasion de suivre un père de famille qui s'enferme, suite au rapt de sa fille, dans une spirale vengeresse partant traquer le kidnappeur pour lui faire payer son malheur.

Alors que le titre du film pourrait nous amener à croire que le film nous proposera de compatir pour cet homme à la recherche d'une vengeance (sympathy se traduit par compassion en français, juste au cas où), à aucun moment Park Chan-Wook ne nous offre des scènes nous amenant dans ce sens. Non, chacun des personnages agit, tel un héros de tragédie dont chacun des actes ne peut que le mener vers sa propre fin, faisant constamment face à une impasse. L'idée de fatalité très présente dans cette œuvre nous permet de suivre ces individus aveuglés par leur désir de vengeance, sombrant dans les pires travers de l'être humain.

Le metteur en scène construit ses trois personnages principaux (Ryu et Young-Mi, Dongjin) comme de parfaits humains, faillibles dès que le pire leur arrive, recourant alors à des méthodes immorales pour parvenir à leurs fins. C'est aussi pour cette raison que l'on ne peut compatir à leur histoire. Certes ils ont tous été frappés par le malheur à un moment donné de leur vie, mais la façon qu'ils ont d'y réagir n'est que haine. Bien d'autres solutions pour quelqu'un de rationnel auraient pu sembler possibles, pas pour eux. Ils commettent des fautes irréparables, des actes à la limite de la barbarie, en ont conscience (bien qu'ils n'y prennent aucun plaisir), et le poids de cette responsabilité pèse donc sur eux. Le réalisateur joue avec ses éléments, amenant le spectateur à suivre le raisonnement de ces âmes perdues et à observer leurs actes.

La trilogie de la vengeance s'ouvre donc sur un récit dur, sans compromis, tragique où des scènes d'une réelle dureté sont présentes et feront la force des films suivants. Et malgré toutes ces qualités, Sympathy for Mr Vengeance ne trouvera pas le succès auprès du public coréen. La triste loi du marché mon brave.

Festival de Cannes et consécration

C'est avec Old Boy que Park Chan-Wook rencontre son plus grand succès critique, palmé à Cannes en 2004 lors de la présidence de Tarantino. Il offre un festival de créativité et de virtuosité tout le long de son œuvre la plus folle et sans doute la plus cruelle. Après avoir été enlevé et emprisonné pendant 15 ans sans savoir pourquoi, Oh Dae-Su est libéré et part à la recherche de la personne responsable de son enfermement. Avec ce second volet de sa trilogie, Chan-Wook nous offre trois récits distincts, celui de l'enfermement d'Oh Dae-Su, invitant à la folie, la claustrophobie et ensuite la libération. Puis vient le temps de la vengeance, là où tout dérape.

Inventif comme jamais, le Sud-coréen utilise ses références kafkaïennes et nous livre un récit énigmatique, tout en symbolisme et hallucination du personnage lors de sa libération. Sa mise en scène, elle aussi, se libère avec le plan séquence désormais culte filmé tel un beat them' all à l'ancienne, plan latéral où notre héros fracasse des tronches à grands coups de marteau. Pur moment de cinéma, ultra nerveux et jouissif à voir et revoir ; n'oublions pas que notre Coréen était parti du principe qu'avec l'émergence des DVD, le spectateur pourrait visualiser les films maintes et maintes fois.

Mais il serait dommage de limiter Old Boy à ce flot de sang, car il nous invite aussi à la contemplation et au romantisme. Par exemple la scène sous la neige se révèle être d'une vraie beauté, le tout servi comme à son habitude par un visuel des plus élégants. Outre son esthétique impressionnante, Old Boy est aussi l'occasion pour Park Chan-Wook de nous faire la démonstration de son talent pour l'écriture de scénarios, plus manipulateur que jamais avec son spectateur qu'il aime perdre, construisant/déconstruisant son récit pour mieux instaurer le doute et finalement renverser des situations comme il le souhaite, devenant imprévisible.

Explorant toujours sa thématique vengeresse, le réalisateur nous invite une nouvelle fois dans son sombre monde, bien qu'un peu d'espoir subsiste, il pose la juste question qui est de savoir ce qu'il y a après l'accomplissement de la vengeance. Tout va-t-il pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Rien du tout, il est au final vain de vouloir venir remettre en question un acte passé, rien n'y changera.

Mais arrêtons-nous là, il faut voir ce film au moins une fois, rien que pour le plaisir de se prendre une grande tatane dans la tête et saisir tout le culte fondé autour au fur et à mesure des années.

Clôture de la trilogie

Encore une fois, le prolifique Park Chan-Wook s'est offert un petit temps de repos, histoire de participer à un court métrage du nom de 3 Extremes avec Takashi Miike et Fruit Chan pour mieux repartir par la suite avec Lady Vengeance, dernier opus de sa trilogie de la vengeance.

De quoi est-il donc question cette fois-ci ? Une femme emprisonnée pendant 13 ans part à la recherche de sa fille. Elle en profitera pour réparer les torts qui lui ont été injustement reprochés. Adaptation shakespearienne qui lui permet de réécrire des personnages en proie à la vengeance. Mais aussi tous font face à un dilemme qui les perdra, puisque devant faire le choix entre laisser la justice faire son boulot ou bien faire justice eux-mêmes.

Le metteur en scène s'amuse donc encore de ses personnages en les faisant sombrer dans la bestialité la plus folle, transformant tout ceux qui pouvait avoir l'air de braves gens, en monstres sans limites. Tous tomberont dans la plus grande noirceur de l'âme humaine et rien ne semble pouvoir les en faire sortir. Une fois au fond du gouffre, il est bien difficile d'en ressortir.

Si l'on en reste là, Lady Vengeance pourrait avoir l'air assez banal et manquant d'un brin d’originalité, mais ce n'est pas le cas, puisque notre ami Park Chan-Wook sait faire preuve de diverses méthodes d'approche pour ses thématiques. Prenant cette fois-ci comme personnage principal une femme jouée par Lee Young-Ae (jusque-là une célébrité en Corée connue pour ses rôles classiques), le réalisateur va s'évertuer à travailler l'émotion du personnage et non créer de l'émotion par ses actes comme il pouvait le faire dans les deux précédents volets, ou ce sont les actes qui créent l'émotion, et non la psychologie des personnages. De plus, il va jouer avec parcimonie avec des flash-back, tout en amenant progressivement son film à passer de la couleur à un noir et blanc très soigné, histoire de symboliser la chute morale des protagonistes qu'il met en scène.

La critique recevra plutôt bien cette dernière partie de sa trilogie, la trouvant moins outrancière que les deux précédents, bien que moralement, il soit possible de trouver Lady Vengeance bien plus dur, car dénué de tout espoir.

Conte de la folie ordinaire

Après trois volets plébiscités par le public, Park Chan-Wook se devait de changer de thématique. Et comme le fait de devenir père entraîne souvent des changements dans la carrière d'un artiste, il se rendit compte que jusqu'ici, aucun de ses films ne pouvaient être visionnés par sa fille, encore trop jeune pour supporter des séquences aussi violentes ou immorales que celles présentes dans ses précédents métrages. Il décide donc d'aborder son nouveau projet avec plus de fantaisie, puisqu'il sera alors question de parler de folie, mais aussi d'amour entre internés. Je suis un Cyborg a de quoi détonner dans la filmographie de Chan-Wook, véritable ovni coloré, il n'en reste pas moins l’œuvre d'un auteur, donc de fait, peut être analysé pour en faire ressortir tout son intérêt.

L'on suit les péripéties d'une jeune fille légèrement dérangée, convaincue d'être un cyborg (d'où le titre hein), et s'abstenant alors de manger de la nourriture « humaine ». Une fois envoyée dans un centre spécialisé, genre un asile en somme, pour être traitée, elle y fait la rencontre d'un jeune homme, tout aussi fou, pensant pouvoir voler l'âme des individus.

Pour mettre en scène toute cette hystérie et ce grand-guignolesque, le réalisateur fait usage de techniques jusque-là peu utilisées lors de ses précédents métrages, dont des split screens, des ralentis ou encore des accélérés, le tout dans un univers haut en couleur. Tous les personnages présents sont plus dingues les uns que les autres et participent à ce moment de débilité.

Je suis un Cyborg, bien que n'étant pas au niveau des autres productions du metteur en scène, se révèle être une touchante ode à la différence, incarnée par des acteurs plutôt sympathiques à suivre dans leurs excès de folie.

Réappropriation du mythe du vampire

Depuis 10 ans, Park Chan-Wook avait ce projet en tête et voici qu'en 2009, Thirst, Ceci est mon sang fait son apparition sur le grand écran. On y suit un jeune prêtre qui se porte volontaire pour devenir le cobaye d'une expérience médicale susceptible d'éradiquer une terrible maladie. Mais pas de bol, il va se transformer petit à petit en un vampire.

Avec une éducation catholique, PCW nous offre une grande partie de symbolisme dans sa production, jamais trop grossier pour en devenir fatiguant. Et le fait de retrouver toute ces références dans un film coréen, donc de culture non chrétienne à la base, rend le tout assez surprenant pour l'occasion. Si le pitch nous rappelle un film d'horreur, le Sud-coréen ne respecte aucune des règles du genre dans cette première incursion, histoire de déstabiliser son spectateur, mais surtout de lui offrir du neuf, ce qui est plutôt plaisant, tant le mythe du vampire a été sur-utilisé ces dernières années, que ce soit par Hollywood ou non. Son approche se veut être un réalisme fantastique plutôt qu'une sortie totale du réel, le spectateur se trouvant alors devant un récit plus facilement crédible qu'à l'accoutumée.

Il fait aussi usage de l'imagerie des vampires pour représenter une sexualité crue et brutale comme le prouvera toute l'évolution de la relation entre le prêtre et la jeune fille dont il fera rapidement la connaissance, nous proposant alors des scènes de sexe fortes entre ces deux personnages que tout semble pourtant opposer à la base.

Adaptation de Thérèse Raquin d'Emile Zola, Thirst, Ceci est mon sang est un récit marqué par l'originalité de l'approche de son auteur, mais se perd parfois dans un symbolisme connu et sa longueur peut perdre le spectateur par moment.

À la découverte de l'Amérique

Généralement, quand un auteur s'exporte aux États-Unis pour travailler sur un projet pour Hollywood, la presse spécialisée panique et commence déjà à cracher sur ledit projet avant que toute image n'ait pu sortir. Lorsque notre bonhomme est parti pour le studio de Satan, tout le monde l'a traité de vendu et s'attendait à voir sortir un bousin. Mais que nenni, rien n'oblige un homme à devenir un vendu, mais dans l'antre du business, Park Chan-Wook reste le même, qu'importe où il tourne et il vous emmerde.

À la mort de son père dans un étrange accident de voiture, Indie, une adolescente, voit débarquer son mystérieux oncle dont elle ignorait l'existence, s'installant zépo chez elle et sa mère. Indie commence à soupçonner les motivations de cet homme mais ne tarde pas à avoir des sentiments mêlés de méfiance et d'attirance pour lui. En gros, c'est la galère dans sa tête d'adolescente fragile.

Stoker vient donc poser la question du rapport à l'autre, rapport ici illustré entre Indie et son oncle, ce dernier étant limite assimilé à un vampire (symbolisme du sang avec les verres de rouge qu'il allonge tout le long), d'où l'incompréhension et la méfiance de la jeune fille à son égard. La forme du thriller très hitchockien permet ainsi de créer une possible tension sur le moindre détail présent à l'écran donc d'avoir tout le long du métrage une incertitude chez le spectateur quant à la suite des événements. Mécanisme qu'a toujours apprécié le metteur en scène au regard de sa filmographie.

Tourné chez nos confrères d'Outre-Atlantique, on pourrait penser que le réalisateur a eu affaire à maintes contraintes, mais au vu de ses interviews, il semblerait que Park Chan-Wook ait eu toute la liberté nécessaire pour amener son projet à bien. Seule la rapidité du tournage, conséquence des méthodes américaines, a pu restreindre le réalisateur dans sa mise en scène, surtout concernant ses longs plans larges, bien qu'il y en ait certains. Pourtant, formellement parlant, on retrouve la vision du cinéma propre à l'auteur. Sa direction d'acteurs n'a elle aussi pas semblé poser problème, alors qu'on pouvait avoir peur avec la présence de Nicole Kidman, qui au final enfile un rôle très kidmanien. Elle aurait d'ailleurs fait plusieurs demandes par le passé à notre ami pour pouvoir jouer un rôle dans l'un de ses films. Le cinéma est international, le talent aussi.

Pour la petite anecdote, le scénario a été écrit par Wentworth Miller (Prison Break) pour la Fox et alors qu'on pouvait faire les pleureuses, le tout se révèle à la hauteur, bien qu'un peu moins fou de ce à quoi nous a habitués le Coréen.

Mademoiselle, théâtre féministe

Dernière livraison du réalisateur, Mademoiselle est un retour à ce que sait faire de mieux le bonhomme, dans la pure continuité de son style instauré par la trilogie de la vengeance. Une jeune femme, Sookee, est engagée comme servante d'une riche japonaise, Hideko, vivant recluse dans un immense manoir sous la coupe d'un oncle tyrannique. Mais Sookee a un secret. Avec l'aide d'un escroc se faisant passer pour un comte japonais, ils ont d'autres plans concernant Hideko, comme lui soutirer sa fortune en toute tranquillité après lui avoir retourné le cerveau.

À l'instar d'Akira Kurosawa dans Rashômon, Park Chan-Wook découpe son récit en trois parties, prenant différents points de vue, pour pouvoir conter de diverses manières les mêmes scènes. Toute la grammaire du cinéma est utilisée par le réalisateur pour mener à bien son projet funèbre dans ce manoir très anglo-saxon.

Si Mademoiselle est définitivement un film féministe, puisque nous contant l'histoire de deux femmes asservies par des hommes qui tenteront par tous les moyens de briser leurs chaînes afin de se libérer de cette emprise masculine dans un monde dirigé par le patriarcat, la romance s'installant entre les deux femmes est aussi l'occasion pour le réalisateur de filmer des ébats lesbiens, presque tout en finesse, où la parole est prépondérante (Park Chan-Wook souhaitait tourner les scènes d'amour les plus dialoguées de l'histoire du cinéma). Mais on ne peut limiter le métrage à un simple amour saphique, puisque comme à son habitude, le metteur en scène aime sonder le côté obscur de tout un chacun, chaque personnage y passe. On retrouve à nouveau une volonté du Coréen de venir malmener son spectateur tout comme ses personnages en les promenant dans un labyrinthe dont on ne semble pouvoir en sortir sans un sacrifice.

Formellement, le film se révèle d'une grande beauté. Tout le long, le spectateur est plongé dans un immense théâtre où chaque scène devient un tableau grâce à l'utilisation récurrente de plans fixes, où l'action a lieu au centre de la pièce. Principe intéressant puisqu'au final, chacun des personnages joue aussi un rôle avant de pouvoir se libérer de cette mascarade. La comparaison au monde du théâtre n'en reste pas là, puisque Kozuki (l'oncle d'Hideko, l'homme serpent) peut représenter l'image de tout réalisateur, aimant entendre ses propres récits (ici des récits sadiens) lu par d'autres et observer la réaction de ses convives.

Mademoiselle se trouve être un film des plus complet dans la carrière de Park Chan-Wook, mêlant bien des influences, brassant tout un tas de thématiques, le tout servi par une imagerie proche du genre pinku eiga (érotisme japonais) à vous en décoller la rétine. Toute en poésie, cette dernière œuvre est fascinante à bien des niveaux.

La forme au service du fond

Maintenant que vous avez pris connaissance de la filmographie du monsieur, revenons un peu à quelque chose de plus sérieux et parlons politique des auteurs. Pour ne pas vous perdre, rappelons que ce concept a été mis en avant par nos jeunes turcs dans les Cahiers du Cinéma, cherchant à légitimer la particularité auteuriale du cinéma. En gros, tel réalisateur est un auteur puisque dans sa filmographie on peut relever des tics de mise en scène qui lui sont propres et permettent alors de le différencier d'un autre. Dès la première lecture il est possible de faire la différence entre Bukowski et Hugo, il en va de même pour le cinéma, John Huston ne réalise pas ses films de la même façon qu'un Ozu. Chacun a son approche de son art qui s'exprime par la mise en scène.

Bref, en quoi Park Chan-Wook est-il un auteur ? Qu'a t-il de particulier pour être étudié ? La filmographie du réalisateur étant désormais assez dense pour être mise en perspective, on peut facilement dégotter des manières de mettre en scène son récit qui lui sont propres. Déjà, les récits du bonhomme sont régulièrement découpés, écrits de façon à perdre le spectateur pour mieux le surprendre sur le final, jouant des renversements de situation le plus souvent possible pour ne pas rester sur une certaine linéarité. Il est toujours bon de se méfier lorsque l'on entre dans une de ses œuvres, les fausses pistes sont nombreuses, chaque détail a son utilité et peut se révéler par la suite déterminant pour venir expliquer certaines situations.

D'autre part, l'usage de la violence dans une grande partie de ses productions n'est jamais gratuite, nous ne sommes pas dans le cadre du porno-gore, où l'effusion de sang n'est ici que pour venir attiser la curiosité et faire plaisir à l'audience qui vient en connaissance de cause. Non, la violence est ici un langage, la langue de l'humanité lorsque celle-ci se perd, chute, et ne sait plus faire autrement. La noirceur de l'âme humaine conduit à cette violence, qui ne semble être qu'un dernier recours possible pour les personnages. Toutefois, cette violence n'est jamais vue de façon positive puisque tous sombrent au final dans la barbarie et se transforment en simples sauvages. Très critique de l'âme humaine, Park Chan-Wook étudie l'humanité dans tous ses travers.

Un formalisme singulier

Son esthétique est elle aussi facilement repérable et identifiable. L'identité visuelle de ses films est très caractéristique : des plans larges, souvent longs, permettant d'imposer les ambiances qu'ils veut et de pouvoir travailler le plus possible son image. Pas de sur-esthétisation pour autant, juste une véritable volonté de construction, Old Boy est un film sale, son visuel l'est donc aussi. Avec Mademoiselle par exemple, le réalisateur se permet plus de folie dans ses décors, avec du mobilier soigné et l'utilisation de motifs.

Si les plans fixes sont courants, la caméra se permet, quand il le faut, de grands mouvements, souvent très amples pour mieux faire entrer le spectateur dans l'intime, ou dans l'action, comme dit plus haut dans la géniale scène de Old Boy avec le plan séquence latéral qui s'offre aussi la folle idée de faire apparaître des pointillés à l'écran, signe du mouvement futur du marteau vengeur. Marteau souvent présent dans sa filmographie d'ailleurs.

Longtemps blâmé pour son apparente cruauté, dénigré pour sa violence, la critique n'a pas été tendre avec le metteur en scène coréen. Pourtant sa filmographie se révèle des plus humaines, car bien que la sauvagerie à laquelle s'adonnent ses protagonistes soit présente, son cinéma reste aussi tout en émotion, un silence, un non verbal d'une réelle intensité. L'Homme est un sujet d'étude de première classe, bien que capable du meilleur, ses faiblesses peuvent le pousser à commettre le pire. Quoi donc de moins étonnant que de le retrouver ainsi mis en scène. Venir décrypter l'âme humaine, tel est son travail.

Park Chan-Wook est décidément un auteur à ne pas rater, son oeuvre est assez complète jusque-là pour y jeter un coup d’œil et entrer dans un univers bien particulier, entre cruauté humaine et esthétisation du cinéma.

1 commentaire

  1. Clo
    Le 09 avril 2017 à 21:37

    Bravo c'est un tres bon article!

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