Si en France, les comédiens de doublage restent souvent des figurants de l'ombre, au Japon c'est le phénomène inverse : ceux-ci sont de veritables stars nationales. Décryptage d'une tendance, n'ayons pas peur des mots, bien japoniaise.
Interrogez n'importe quel aspirant comédien, le milieu du doublage n'est généralement pas celui choisi en priorité. Le cinéma fait beaucoup plus rêver mais les places sont chères. Ainsi, chez nous, le milieu du doublage représente un milieu de seconde zone, même s'il a commencé à évoluer depuis quelques années grâce aux jeux vidéo. Mais soyons honnête, au cinéma, on ne s'intéresse qu'aux comédiens à l'écran mais pas aux voix assurant un doublage dans sa langue maternelle.
Dans le cadre de l'animation, le doublage représente un socle décisif car c'est ce qui donne « vie » aux personnages. Vous vous rappelez certainement des doublages foireux de Ken Le Survivant et des dessins animés où les voix des personnages changeaient à chaque épisode. Preuve y en est qu'à l'époque (et même encore aujourd'hui), on ne donne pas tellement de crédit aux doublages. Bon il y a évidemment Disney qui sort le grand jeu mais en dehors de ces productions, c'est un peu le grand « foutage de gueule » en matière de doublage.
Si par chez nous on ne s'intéresse pas vraiment aux voix des héros des dessins animés de notre enfance, le Japon lui glorifie ces organes sacrées. Et croyez-moi, c'est toujours surprenant de voir cette différence marquée avec notre pays. En témoigne cette vidéo tournée lors du Cartoonist 2013 où Eric Legrand et Toru Furuya, respectivement voix française et japonaise de Seiya dans Saint Seiya, ont partagé leurs expériences.
Conférence sur la différence entre le doublage en France et au Japon durant le Cartoonist 2013
QUAND ÊTRE COMEDIEN DE DOUBLAGE FAIT DE VOUS UNE CELEBRITE
Au Japon, les comédiens qui font du doublage sont appelés des Seiyu. L'importance de la production de séries d'animation (à peu près 60% du paysage international de l'animation quand même) fait que ces comédiens ne sont pas seulement de simples préteurs de voix anonymes mais de véritables stars nationales. Les personnages issus de mangas, animes ou jeux vidéo ne sont pas de simples personnages fictifs au Japon et l'association d'une voix à celui-ci lui donne une autre dimension, plus réelle.
Prenons par exemple un personnage célèbre du monde vidéoludique : Cloud de Final Fantasy VII. Le jeu d'origine n'est pas doublé, mais ce n'est pas le cas de sa préquelle Crisis Core et du film en images de synthèses Final Fantasy VII Advent Children. Les personnages ont ainsi eu droit à des voix et autant dire que les rôles principaux ont été chers à prendre et le choix s'est fait sur casting.
Devenir seiyu n'est pas une chose facile : il faut passer par des études dans des écoles spécialisées qui forment les comédiens aux techniques de doublage des séries animées mais aussi à l'acting en général. Ensuite, une fois le diplôme en poche, le ou la jeune seiyu doit passer par le même calvaire que n'importe quel comédien au monde : les castings ! Eh oui, à chaque anime, des castings sont réalisés pour déterminer les rôles, du personnage principal au figurant n°100. Et tout le monde débute par les rôles de figurants plus ou moins importants avant de décrocher le gros lot : la voix de l'un des personnages principaux.
Pour autant, il ne faut pas croire que les seiyu les plus connus ont toutes les faveurs : ils passent, comme tout le monde, des castings pour décrocher leurs rôles. Cependant, ils ont une plus grande chance, grâce à leur CV, d'obtenir de bons rôles. Parce que oui, ce sont les rôles principaux qui retiennent l'attention, plus que les rôles secondaires. D'autant plus que comme chez nous, les seiyu sont payés au lance-pierre à leurs débuts et doivent cumuler les rôles secondaires pour remplir le frigo.
En fait, si les seiyu tentent autant de décrocher les premiers rôles, c'est parce qu'évidement ils sont beaucoup mieux payés mais parce que cela leur apporte aussi une sorte de célébrité éternelle, puisque il est assez rare que les voix changent au cours d'une série, sauf en raison d'un décès. Par exemple, pour les deux séries FullMetal Alchemist ou le reboot de Hunter X Hunter, les seiyu reprirent les rôles qu'ils avaient initialement occupé alors que l'histoire recommençait de zéro.
Pour revenir à Final Fantasy VII dont je parlais plus haut, les seiyu qui ont donné leur voix à Cloud et Sephiroth sont liés à jamais à ces deux personnages. Même s'ils ont d'autres rôles à leur actif, Sakurai Takahiro restera la voix de Cloud dans tous les supports.
LA MULTIPLICATION DES ACTIVITES
Détenir le rôle principal d'une série est loin d'être évident et la concurrence est très rude dans le milieu. Il faut dire, le succès des seiyu reconnus pour leurs rôles donnent envie de se lancer dans le métier. Le fait d'être associé à des personnages fictifs célèbres, d'enregistrer des disques et d'acquérir une célébrité sur le sol japonais sont autant de raisons qui poussent de nombreux japonais à tenter leur carrière dans ce métier. Pour autant, c'est un métier difficile puisque très peu de seiyuus (les plus connus) peuvent se permettre de vivre de leur métier (avec souvent une carrière artistique dans la musique, le cinéma ou le théâtre à côté). Beaucoup de seiyuus doivent travailler en parallèle pour se nourrir. Selon ce site, les seiyuu gagneraient environ 350euros par épisode de série tout en tenant compte du rôle détenu. Le métier étant difficile, les écoles forment aussi leurs talents à avoir d'autres cordes à leur arc : danse, chant, théâtre et écriture. La carrière musicale est souvent menée en parallèle par de nombreux seiyuu pour se faire connaître et assurer « des produits » autour de sa personne.
En effet, les séries à succès vendent très souvent des disques appelés Character Song regroupant des chansons chantées par les seiyuu interprétant les personnages de la-dite série. Et ça marche à fond. Il n'y a qu'à voir le succès du jeu de drague adapté en anime Uta no prince-sama qui raconte l'histoire d'idoles de la chanson. Les chansons issues du jeu et de l'anime se sont vendues comme des petits pains. Je vous rassure, pour l'occidental que nous sommes, cela reste totalement incompréhensif. Mais cet exemple montre que les deux milieux sont indéniablement liés, notamment dans le cas de séries, disons, musicales (mais attention les oreilles, ça pique!)
Le milieu du doublage ne s'arrête pas qu'aux animes et touchent aussi le milieu vidéoludique. En effet, depuis l'ère PS2, les jeux sont systématiquement doublés. Au Japon, c'est aussi l'occasion pour les seiyu de se faire connaître sur d'autres supports, pas forcément complètement éloignés vu que certains jeux vidéo sont adaptés en anime et vice-versa. Le doublage japonais dans les jeux vidéo est souvent quémandé par le public occidental, pour la qualité de l'acting. Le fait qu'également certains jeux regroupent des seiyu très populaires ou reconnus donne forcément envie de les entendre dans d'autres supports. Il n'y a qu'à prendre l'exemple de Persona 3 qui possède un casting exceptionnel ou Xenoblade Chronicles où les seiyu de Vegeta et Cell de DragonBall Z se retrouvent pour des tirades d’anthologies.
Enfin, un domaine dans lequel nous allons vite revenir : le doublage dans des œuvres pornographiques. Parce que oui, les hentai et eroges ont aussi droit au doublage. Et autant dire que c'est un exercice de style assez étonnant comme le montre très bien l'anime Koe de Oshigoto.
Exercice dans une école qui forme les seiyuu
PAYER SON LOYER ET CONSCIENCE PROFESSIONNELLE
Dans le fabuleux monde du doublage japonais, il était impossible de faire l'impasse sur un phénomène déjà décrypté dans l'article sur les visual novels. L'industrie pornographique au Japon est prolifique et se démarque par sa capacité à faire venir des pointures du milieu du doublage japonais dans des supports qui relèvent, en occident, d'une honte totale. Alors, je ne vous cache pas que c'est un choc psychologique assez intense quand on découvre que telle voix est celle de tel seiyu qui est accessoirement votre préféré.
Prenez Akira Ishida, voix reconnue pour être celle de Kaworu dans Neon Genesis Evangelion, Gaara dans Naruto et même Katsura Kotaro dans Gintama (filmographie choisie j'en conviens) Eh bien, derrière ces rôles phares, monsieur joue une carrière dans le milieu pornographique, notamment dans la série hentai Princess Lover ! De quoi vous offrir une bonne nuit de pleurs et d'angoisse dès que vous entendrez sa voix (vachement reconnaissable en passant).
On continue sur cette lancée avec le nouveau chouchou du public (mais pas le mien, je supporte plus de l'entendre partout), Kaji Yuuki. Eh bien, avant de décrocher le rôle phare d'Eren Jager dans L'Attaque des titans, il a commencé comme tout bon jeune premier : à savoir doubler dans des séries pornographiques et notamment dans le visual novel Yaoi Nessa no Rakuen. En passant, je remercierai jamais assez le site The Visual Novel Database et sa superbe mise à jour qui permet désormais d'associer chaque seiyu avec ses rôles dans différents jeux. De quoi passer des nuits affreuses, encore une fois.
La seule exception, c'est Disney. Vous vous rappelez de ces scandales quand des stars estampillés Disney se sont mises à faire des photos de nues ? Dans le domaine du doublage, même histoire. Mais d'un autre côté, ça condamne les seiyu à ne pas accepter de rôles compromettants. Pour ceux qui apprécieraient Miyu Irino et Miyano Mamoru, respectivement voix de Sora et Riku dans la saga Kingdom Hearts, ceux-ci étant en contrat avec Disney, il n'y a pas de risques qu'ils viennent se perdre dans une production qui leur coûterait ces deux rôles phares.
Les trois seiyuu originaux des personnages centraux du jeu vidéo Kingdom Hearts : Miyano Mamoru (Riku) Risa Uchida (Kairi) et Miyu Irino (Sora).
DES ROLES OLE OLE
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les seiyu ne sont pas fondamentalement opposés à doubler dans des productions érotiques. Preuve, une nouvelle fois, que la culture pornographique japonaise n'a rien à voir avec la nôtre où le milieu du X est souvent considéré comme « sale » ou « malsain ». Cependant, cette carrière se fait le plus avec un pseudonyme. Parce que oui, elle se gère en parallèle des autres. Cela permet également aux seiyu de pouvoir exercer sur différents tableaux sans que l'on crie au scandale. De quoi brouiller les pistes, même si il suffit de tendre l'oreille pour se rendre compte qui se cache vraiment derrière.
Pour le reste, la reconnaissance de nombreux seiyu se fait par certains rôles, comme par exemple Romi Paku reconnue pour son interprétation d'Edward Elric dans FullMetal Alchemist. Norio Wakamoto est reconnu pratiquement au niveau international pour son rôle de Cell dans Dragon Ball Z mais aussi Vicious dans Cowboy Bebop et il s'est illustré de nouveau comme antagoniste dans Xenoblade Chronicles. Enfin, il y a bien une série qui permet de montrer le talent de nombreux seiyu : c'est Gintama. Jouant aussi bien sur le tableau de la comédie pipi-caca-prout que de scènes complètement badass, elle donne à voir de sacrés performances vocales.
Au final, l'une des raisons principales évoquées sur le pourquoi il y a un plus grand intérêt à regarder un anime japonais en version originale tient surtout du soin apporté au doublage dans l'industrie de l'animation japonaise. Certaines voix sont devenues cultes, parfois difficiles à dissocier des personnages incarnées (du moins, j'ai du mal à entendre Tomokazu Sugita quand il ne double pas Gintoki dans Gintama). On aimerait tant voir la même chose en France ou ailleurs même si les animes japonais ne diffèrent pas de séries ou de films : c'est toujours mieux à voir dans la langue originale.
Jeff
Le 08 janvier 2016 à 19:35Un deuxième article sur le doublage oh yeahhh ! Et avec Eric Legrand en prime ! Article très intéressant. J'ai beau avoir écrit l'article "Les cinq voix qu'un geek doit connaître", je ne connaissais pas l'envers du décor concernant les doubleurs venant du pays du soleil levant. J'ai beaucoup apprécié. Pour rebondir sur la conclusion, nous avons également, en France, certaines voix qui sont bien associées à certains personnages ou acteurs et donc, qui sont reconnaissables entre mille. Bien sûr, chez nous, cela relève le plus souvent de l'anecdote. La plus grande différence est sans doute le côté "travail à la chaîne" que nous avons en France et le fait que l'on puisse tout à fait entendre le même doubleur 5 fois en une journée à la télévision. Ceci s'explique par le fait qu'il y a énormément de doublage à faire et assez peu de doubleurs clairement reconnus chez nous.
Elesia
Le 08 janvier 2016 à 21:55C'est un métier assez peu reconnu - et valoriser à mon sens - en France c'est vrai. Après au cinéma, c'est surtout que les gens viennent pour voir un acteur et pas pour son doublage. Dans l'animation pure ça bouge depuis plusieurs années où l'on va recruter des noms d'acteurs connus pour faire le doublage. C'est déjà un énorme pas en avant. Au Japon c'est vraiment différent. Mais d'un autre côté, c'est ce qui a donné aux animes une véritable âme.
Mayla
Le 12 janvier 2016 à 11:56S'il est vrai que le doublage en France n'est pas très reconnu et qu'ils ont massacré la plupart des doublages d'animes violents, c'est aussi parce qu'ils voulaient dédramatiser le thème et faire passer ça auprès de jeunes enfants. Ainsi, ce n'était pas trop sérieux et ça désamorçait un peu les images. Article intéressant sur les Seiyûs. Akira ishida étant l'un de ceux qui possèdent une voix très particulière et agréable en même temps. Mais il y a des doubleurs Français qui sont indissociables de certains personnages ( enfin c'est peut-être mon avis personnel) : Richard Darbois et l'excellent Batman de l'ancienne série animée Batman et qui est un peu sur tous les fronts avec sa voix profonde.